13fév 06

 

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Quand le peuple s'en mèle, la Caracas des gratte ciel change de couleur ... (marche du 8 août 2004 en soutien au président Chavez)
Quand le peuple s'en mèle, la Caracas des gratte ciel change de couleur … (marche du 8 août 2004 en soutien au président Chavez)

D'UN MONDE A L'AUTRE

 

C'est le premier jour du séjour. On démarre en petites foulées pour m'aider à encaisser le choc du décalage horaire. C'est l'ambassade de France qui pilote le programme qui a été mis au point. L'appui des professionnels c'est toujours le mieux. D'autant qu'ici les rendez-vous ne se stabilisent que du jour pour le lendemain et parfois par demie journée. Et même d'heure en heure. Il faut donc que la logistique et le suivi soient eux en béton armé. C'est le cas. Ensuite, il faut tenir compte de la circulation. Aussi embouteillée qu'à Paris. Je crois que la civilisation de la bagnole c'est la culture du bouchon. Ici on dit « la cola », faire la queue. Cela donne le temps de regarder dehors les gratte-ciel, l'empilement des constructions de toutes sortes. Du 32ème étage du Banco Mercantil où j'ai rendez vous, je vois tout ça de haut.

D'en bas je ne verrai pas grand-chose Car on me recommande de ne pas « traîner ». L'insécurité urbaine est grande comme dans un très grand nombre de capitales latinos rongées par la misère et la diffusion des armes à feu. Certes, je me méfie toujours de ces récits d'apocalypse car je connais aussi ceux qu'on raconte sur ma banlieue. Mais enfin, ici j'ai bien un look de riche et il est clair que les voleurs n'attaquent les pauvres que faute de mieux sous la main. 30 par balle par week-end, 12 000 par an, cinq enlèvements de français en deux ans, ça fait réfléchir. N'empêche, je dis à mon interlocuteur qui parle un français germanopratin de la plus pure eau : « Où qu'on regarde sur ce continent on a le sentiment que c'est un monde neuf. Je me demande à quoi ça tient. » Il rit. C'est vrai, vu d'ici on dirait Hong Kong. Qu'est ce qui est neuf sous le soleil à part nos espérances ? Comme j'ai prévu une forte implication avec les amis chavistes, je me suis proposé de voir d'abord des gens sérieux de l'autre bord, c'est-à-dire du monde traditionnel des affaires. Mes thèmes ne seront pas idéologiques mais concrets, mon propos n'étant pas de faire semblant d'entendre « les deux parties », ce qui ne serait pas très respectueux de mes interlocuteurs dans la mesure où je suis en réalité positionné.

Je suis reçu par un financier pour ouvrir la série de mes entretiens : le Directeur des relations internationales de la première banque privée à capital vénézuélien, le Banco Mercantil. Le sujet c'est l'emboîtement des projets d'intégration régionale. D'un côté le projet états-unien de l'ALCA. Tout pour les Etats-Unis, rien pour les autres. Passons. Ce processus semble bien embourbé pour l'instant. De l'autre côté une réalité, la communauté andine. Modèle Union européenne avec un degré d'intégration assez avancé sur le plan de l'unification d'un marché intérieur. Enfin, le Mercosur.

Le Venezuela est à l'aise dans la communauté andine parce que les pays membres ont des économies complémentaires. Il vient d'entrer dans le Mercosur. La décision politique est prise. Elle a un sens politique profond : le développement d'une entité sud-américaine. Une voie qui reprend le projet de Simon Bolivar ? Dans la vision multipolaire du monde c'est une bonne affaire pour nous aussi en Europe. Mais sur le plan économique, pour les Vénézuéliens, c'est une autre paire de manche. Car le Brésil est le géant de la zone. C'est d'ailleurs la dixième économie du monde. Le déséquilibre peut détruire tout développement chez ses voisins. Au passage, je ne peux pas m'empêcher de ricaner en pensant à ce que les Brésiliens disent de nous, subventionneurs d'exportations agricoles, quand j'entends ce que disent à leur propos leurs voisins sur le même sujet. Bref comment emboîter les niveaux d'intégration régionale ? Et le rendre compatible avec l'OMC ? C'est le même ordre de problème que nous vivons avec la construction de l'Union européenne dans le cadre de l'OMC.
Mon interlocuteur reconnaît que les « milieux d'affaires » se sont beaucoup politisés. Cet euphémisme nous permet de rester courtois et de continuer à discuter sur les aspects techniques de ces sortes de questions. De toutes les façons cet homme n'a pas l'air de trouver que cette politisation soit une réussite. Il a été autrefois l'un des négociateurs de son pays dans la construction de la Communauté Andine des Nations. Le côté baston générale entre vénézuéliens n'a pas l'air de l'enchanter. Car dans un pays, vient toujours le moment où il faut bien produire et distribuer. Le patronat aurait mieux fait d'y penser avant. Mieux vaut en parler calmement plutôt qu'en faisant des putschs. En tous cas pour le moment le dialogue est à zéro. Cela devrait aider les milieux d'affaires à réfléchir aux inconvénients de la logique de confrontation violente permanente. Il est important pour moi de constater que la « convergence des productifs » est une réalité dans laquelle il n'est pas vrai que le travail a obligatoirement les deux mains attachées dans le dos. Comme les négociations sur le contenu économique de l'entrée dans le Mercosur sont engagées, on peut dire que la pression est maximale. Un thème intéressant de cette rencontre est aussi d'avoir souligné toute la difficulté et même les contradictions qui peuvent surgir de l'objectif d'un développement économique et social endogène dans une économie qui veut rester ouverte sur une ample zone d'échange transfrontalier. Depuis la panne du programme commun en 1983, nous savons de quoi il est question à ce propos? Je poserai donc la question dès que possible à ceux qui décident ici.

Le second entretien est avec le président de l'association vénézuélienne des hydrocarbures, secteur central de l'économie du pays comme on le sait. L'échange est en français. Lui plaide ouvertement pour que le régime ne se contente pas d'encourager les nouvelles formes de la propriété comme les noyaux populaires ou les coopératives de production mais qu'il soutienne aussi le capitalisme national traditionnel. Ancien diplomate en poste à Bruxelles il est extrêmement bien informé de tous nos débats à propos de l'Union européenne de sa forme et de son contenu. On gagne du temps pour se comprendre. Il reproche aux européens, comprenez les dirigeants européens et spécialement les membres de la Commission, de ne pas avoir joué leur rôle en poussant bien davantage l'intégration économique de la zone, et en ouvrant une voie privilégiée d'échange avec l'entité régionale latino-américaine. Selon lui, le vecteur privilégié de l'intégration est la création de firmes privées transnationales et non pas de conglomérats inter-étatiques. Je reste sur ma faim en ce qui concerne le rôle des équipements d'infrastructure énergétiques comme facteur d'intégration et de développement car sur ce point, l'industrie pétrolière vénézuélienne, compte tenu des réserves du pays, a un rôle crucial. Et si l'objectif d'un monde multipolaire stable a un sens, la partition de l'Amérique latine ne peut pas être jouée sans que l'accès de chacun aux approvisionnements énergétiques soit non seulement garanti mais sérieusement réparti. Compte tenu des batailles que cette question soulève déjà partout dans le monde au fil du trajet des pipelines, il me semble que c'est crucial.

Ces deux responsables économiques sont donc placés dans une relation critique au pouvoir du point de vue d'une vision du développement de la production et des échanges et non de purs enjeux de pouvoirs politiques, même si je discerne à quel point les deux sont liés dans leurs esprits également. Les deux sont certains que l'ouverture des marchés et de la composition du capital des sociétés est mécaniquement un mieux qui permet d'augmenter la production et l'échange. Le premier le prouve en signalant l'intensification des échanges constatés avec la Colombie qui est l'autre grand partenaire économique du Venezuela dans cette zone. Il conteste que cela ait un sens réel de vouloir contourner la relation économique avec les Etats-Unis compte tenu de son poids pour les échanges du Venezuela et il s'amuse de voir que les société latino-américaines avec lesquelles commerce le Venezuela sont souvent à capital nord-américain. Le second n'a pas de préoccupation géographique dans la mesure où le pétrole et le gaz sont des produits totalement incontournables sur l'ensemble des marchés du monde. Pour le sourire, je signale que ce manitou pétrolier est presque un concitoyen dans la mesure où une partie de sa famille vient de Pino au Cap Corse et qu'il expose sur son bureau une aquarelle des lieux ? Mais il y a eu aussi ici un Léoni Président de la République.

Le soir venu, je rencontre deux autres hommes dont le premier contact me coupe le souffle, non seulement en raison de la réputation d'influence sur le président Chavez qui les précéde, de leur francophonie parfaite et troublante et de leur double nationalité mais surtout en raison de leur jeune age, une trentaine à peine commencée. Ce sont les deux conseillers diplomatiques de la présidence, Max Arvelaiz et Alex Main. Leur fine connaissance de tous les méandres, groupes et sous-groupes de la gauche française et des débats en cours est proprement incroyable.

C'est une autre page du voyage qui commence. Ces deux gars-là me bouleversent. Quand j'ai fini le repas, j'ai compris que j'avais bien été en contact avec le coeur de l'énergie du processus politique en oeuvre au Venezuela. Quand on se quitte, il est tard ici, et encore plus pour moi qui suis décalé de cinq heures.


Aucun commentaire à “Première journée au Venezuela”
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  1. brigetoun dit :

    belle la photo, même si elle n'est pas, si je comprends bien d'actualité.

    Il est assez normal qu'un banquier n'ait pas un amour démesuré pour le désordre, surtout des interventions aussi grotesques que le coup d'état loupé. Et il est assez certain qu'un développement économique endogène n'est pas possible et sans doute pas souhaitable dans notre monde

  2. Maurice dit :

    Sur les jeunes et courageuses figures qui entourent Chavez, je conseille la lecture d'un article de Claude Askolovitch paru dans le Nouvel Observateur en janvier.

    Consultable gratuitement sur : http://www.nouvelobs.com/articles/p2151/a293250.html

  3. Jean-Charles dit :

    L'Amérique Latine effectivement pour un européen c'est "surprenant" mais on s'y attache vite.........d'autant qu'il y a un ferveur populaire que l'on a du mal a retrouver en France! Je te conseille de faire un tour à Bogota si tu en as le temps


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