04nov 11

Interview publiée dans l'Humanité

Analyse de la crise financière et nécessité d’une nouvelle répartition des richesses

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Jean-Luc Mélenchon  décortique les enjeux de la crise financière en Europe, la situation en  Grèce et l'attidude des marchés. Pour le candidat du Front de gauche à  l'élection présidentielle de 2012, une nouvelle répartition des  richesses entre capital et travail est la question centrale que la  gauche doit aborder sans détour.

Comment réagissez-vous à l'affirmation du couple Sarkozy-Merkel selon laquelle l'austérité est le seul moyen de sortir la Grèce et l'Europe de la crise financière ?
Jean-Luc Mélenchon
.  Je suis frappé par le contresens économique : une politique d'austérité  généralisée conduit à une contraction de l'activité économique. Elle  entraîne partout une diminution des recettes fiscales et une  augmentation du chômage, donc une hausse des déficits des comptes  sociaux et des comptes publics, donc le recours à l'emprunt, la dette et  le service de la dette. C'est de l'argent gaspillé. C'est un constat de  bon sens dont nous avons la démonstration sous les yeux avec la Grèce.  L'activité économique y a reculé de cinq points et la dette a augmenté  de 30 %. Cette politique ne marche pas, ni pour la Grèce ni pour aucun  autre pays européen.

Pourquoi, dans ce cas, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel continuent-ils à appliquer une politique inefficace ?
Jean-Luc Mélenchon.  Ils défendent un bien particulier : la rente. Le capital financier, sa  profitabilité demeure leur préoccupation principale. C'est la raison  pour laquelle la stabilité des prix est leur objectif. Ils sont  cramponnés à la protection du coeur de ce système financier. Cette  vision dominante en Europe a été institutionnalisée par le traité de  Lisbonne et s'habille aujourd'hui d'un autoritarisme consternant. Les  pays continuent d'accepter des transferts de souveraineté. C'est ainsi  que s'applique, par exemple, le semestre européen, qui contrôle les  budgets avant même qu'ils soient votés par les Assemblées nationales. Ou  encore l'instauration de sanctions, d'amendes qui peuvent être de 1 à 2  points de la richesse produite pour les pays qui sortent des clous de  l'endettement ou de leur déficit.

Le référendum obtenu par les  Grecs est-il la bonne solution face à la situation de crise de ce pays  et à celle de l'Europe tout entière ?
Jean-Luc Mélenchon.  C'est déjà la solution qui permet à tout le monde de respirer. Je  rappelle que l'économie est au service des humains, et non l'inverse.  Nous ne sommes pas, nous, préoccupés par la monnaie mais par les êtres  humains. La monnaie doit être à leur service, raison pour laquelle nous  sommes partisans d'une monnaie unique en Europe comme un moyen d'avoir  un étalon de mesures sociales équivalentes pour tous les peuples.  L'Europe a été capable de mobiliser mille milliards d'euros pour  garantir la stabilité du système bancaire. Imaginez les mêmes mille  milliards d'euros mobilisés, il y a quatre ou cinq ans, pour les grands  travaux en Europe. Avec cette somme, on n'aurait pas connu le début du  commencement du problème de la Grèce ni d'aucun autre pays. Or, là, nous  mourrons anémiés par une activité qui est sans cesse étouffée.

Comment réagissez-vous aux cris d'orfraie à l'annonce du référendum, alors que vous avez été le premier à vous en réjouir ?
Jean-Luc Mélenchon.  Je suis consterné de voir que la démocratie pose problème. Un chef de  gouvernement annonce qu'il va faire un référendum, et les marchés  s'écroulent. La démocratie fait peur au marché ! Pour le Front de  gauche, la démocratie n'est pas le problème mais la solution. Les États  européens sont entrés dans une logique totalitaire : ceux qui  n'appliquent pas les décisions sont punis, quand bien même n'en ont-ils  jamais délibéré. Les raisons d'agir des dirigeants sont présentées comme  la raison elle-même. Pour eux, il n'y a qu'une seule solution possible.  N'est-ce pas un propos totalitaire ?

Pouvez-vous expliquer pourquoi vous estimez qu'en faisant jouer un rôle nouveau à la Banque centrale européenne (BCE), on sortirait l'Europe de la crise financière ?
Jean-Luc Mélenchon.  L'urgence consiste d'abord à arrêter la pression du système financier  sur les dettes souveraines. Sommes-nous d'accord pour dire qu'il y a une  pression illégitime du système financier ? Ou estimons-nous que c'est  la dette souveraine qui est insupportable et qu'il convient de contenir  la dépense ? La BCE pourrait parer à l'urgence. Une solution immédiate  consisterait à appliquer une batterie de mesures pour faire stopper les  techniques de spéculation, dont, entre autres, l'interdiction des ventes  à découvert. Surtout, la solution radicale est que BCE prête  directement à l'État-nation concerné. Comme sa puissance de financement  est illimitée – puisque c'est une banque centrale -, la spéculation  s'arrêterait immédiatement. Cela ne servirait ainsi à rien de spéculer  contre la Grèce car la BCE serait derrière.

Nicolas Sarkozy  dit aux Français que, s'ils veulent garder leur modèle social, ils  doivent accepter de nouvelles mesures « courageuses ». Entre 6 et 8  milliards d'économies supplémentaires vont être présentées la semaine  prochaine. Que répondez-vous à ceux qui estiment que le président tient  un discours de vérité, de réalisme et de responsabilité ?
Jean-Luc Mélenchon.  Je réponds que ce n'est pas responsable du tout. Comment peut-il  affirmer qu'il veut protéger notre modèle social, alors qu'il est en  train de le démanteler complètement ? Ne propose-t-il pas moins  d'écoles, moins de fonctionnaires, moins d'hôpitaux ? D'ailleurs, moi je  ne parle pas de modèle social, mais d'acquis sociaux. Ceux-ci sont le  résultat de hautes luttes. Comment peut-il dire qu'avec une politique  d'austérité, qui contracte l'activité, on diminuerait les déficits ?  C'est tout le contraire, nous allons les augmenter. Sa politique nous  mène droit dans le mur.

Vos propositions, telles que le smic à 1  700 euros ou l'échelle des salaires de 1 à 20 dans les entreprises, ne  risquent-elles d'être jugées irréalistes face à la crise ?
Jean-Luc Mélenchon.  Les mêmes qui détruisent tout passent leur temps à nous dire que nous  sommes des irréalistes. Pour eux, il n'y a qu'une vérité possible : la  leur. Notre orientation est sans ambiguïté. Nous voulons augmenter les  revenus du travail. Quand on élève le salaire de quelqu'un qui vit au  smic de 100 euros, il les dépense en consommation donc dans la  production. C'est ainsi, immédiatement, du carburant pour l'activité et  l'emploi. Contrairement à l'argent capté par les pôles financiers qui se  disperse dans les bulles financières, nous, nous proposons de rallumer  des moteurs de l'activité. Je suis parfois stupéfait de voir, y compris à  gauche, de la surprise et même de l'inquiétude. Comme si la grande  question n'était pas celle de la répartition de la richesse entre le  capital et le travail. En quelques années, dix points sont passés des  poches des salariés à celles du capital. Cela représente 195 milliards  d'euros par an.

La dette publique n'alimente-t-elle pas le doute sur la possibilité de faire autrement ?
Jean-Luc Mélenchon.  On doit soit contracter les dépenses soit augmenter les recettes pour  pouvoir payer ces dettes. Le Front de gauche est partisan de la seconde  solution. En ponctionnant davantage le capital on remplit les caisses de  l'État. La dette du pays est de 1 600 milliards d'euros, soit moins que  notre produit intérieur brut (PIB) d'une année, qui est de 1 940  milliards. Les titres de la dette sont en moyenne de sept ans et trente  et un jours. Durant cette période, le PIB réalisera 14 000 milliards  d'euros. Donc le total de la dette actuelle, étalé sur les sept ans et  trente et un jours de sa durée de vie, ne représente que 12 % de nos  richesses. Pour payer la dette, il faut prendre l'argent là où il  existe. Les entreprises du CAC 40 paient moins d'impôts que des PME. Les  banques vivent aux crochets de l'État, alors qu'elles accumulent des  milliards de bénéfices. Autant d'argent susceptible de rembourser la  dette. Plusieurs personnalités et organisations de gauche demandent un  audit de la dette publique française pour évaluer si elle doit être  intégralement remboursée. Le Front de gauche porte aussi cette  proposition.

Où en êtes-vous dans votre proposition d'offre publique de débat avec l'ensemble de la gauche ?
Jean-Luc Mélenchon.  Nous n'avons pas de réponse. Peut-être, parce que les socialistes,  étant en tête dans les sondages, considèrent que l'on doit s'adapter à  leur projet. Et nier le nôtre. Certains, comme les Verts, font passer  par-dessus bord les convictions auxquelles ils tiennent comme la sortie  immédiate du nucléaire… Le PS pense que si vous êtes derrière dans les  sondages, vous vous taisez et vous signez un accord pour des  circonscriptions électorales et des places dans les ministères. Or,  nous, nous sommes sur une stratégie de sortie de crise avec une méthode  qui est la relance économique. On ne renoncera pas à ce combat.

Selon vous, la droite est-elle définitivement battue ?
Jean-Luc Mélenchon.  Je ne le crois pas et je mets en garde ceux qui le pensent. On a déjà  vu dans d'autres pays des retours de bâton spectaculaires. Quatre  millions d'Italiens avaient désigné le candidat socialiste. C'est  pourtant Berlusconi qui a gagné. L'élection présidentielle est la plus  volatile de toute l'histoire de la Ve République. Il y a huit mois, DSK,  Borloo et Besancenot occupaient l'actualité. Ils ont aujourd'hui  disparu. Il y a peu, on ne parlait pas de crise majeure au point où  l'euro pouvait exploser, l'Union européenne  se disloquer. Dans cette situation, vous pouvez avoir un pays qui se  coupe en deux avec deux points de vue absolument opposés. La France est à  la fois un vieux pays conservateur et un jeune pays novateur. Seulement  compte la bataille des idées…

C'est avec cette conviction que vous pensez surmonter le piège du vote « utile » en faveur de François Hollande ?
Jean-Luc Mélenchon.  La pédagogie collective est accélérée par le spectacle que les gens ont  sous les yeux. Il y a huit mois, on pouvait peut-être dire que  l'austérité pouvait être une solution. Aujourd'hui, faites la même chose  et l'on vous demandera ce que ça donne en Grèce. Les gens, même les  plus éloignés de l'économie et du débat politique, écoutent,  réfléchissent, discutent…

Vous avez déclaré que vous ne  participeriez pas, personnellement, à un gouvernement de gauche.  Existe-t-il au sein du Front de gauche un débat sur l'éventuelle  participation gouvernementale ?
Jean-Luc Mélenchon.  Pour l'instant, je ne peux pas témoigner d'un tel débat. Cependant, je  comprends que la question se pose. Nous sommes candidats pour gouverner.  Mais si nous ne sommes pas majoritaires à gauche faut-il participer au  gouvernement ? Pour cela, il faudrait déjà savoir quel est le programme  socialiste. Le candidat PS lui-même explique aujourd'hui que tout ce qui  est écrit dans ce programme ne peut s'appliquer.

Est-ce a priori un « non » à une participation gouvernementale ?
Jean-Luc Mélenchon.  Je suis candidat d'un front constitué de partis. C'est eux, en toute  souveraineté, qui prendront leur décision le moment venu. Mon rôle est  de rassembler toute la mouvance de l'autre gauche, et ceux qui aiment  assez leur pays pour vouloir un changement profond. Dans cet ensemble,  il y a des gens qui disent en aucun cas il faut gouverner avec les  socialistes, d'autres qu'il faudra être raisonnable et accepter d'y  aller. Tout le monde doit se sentir à l'aise avec ma candidature. Ceux  qui veulent qu'on y aille verront avec leurs partis, ceux qui ne veulent  pas pourront voter pour moi car je n'irai pas dans un autre  gouvernement que celui d'une majorité du Front de gauche.

Ce discours ne risque-t-il pas d'alimenter le vote utile ?
Jean-Luc Mélenchon.  Il ne tient qu'à nous de faire la démonstration de la validité de nos  choix. En quoi est-ce utile, pour une personne de gauche rejetant la  politique de Sarkozy, de voter pour un projet qui conduirait à la même  politique. Quelle est la différence entre la règle d'or et la règle d'or  ? Entre l'équilibre des comptes publics et l'équilibre des comptes  publics ? Bien sûr, il ne faut pas rejeter les électeurs socialistes.  Dans ce sens, nous devons mener un débat public. D'autant que les gens  n'écouteront que leur propre conscience. Le Front de gauche se bat pour  devenir un front de peuple. On ne peut pas faire un front du peuple  autrement qu'avec une politique qui corresponde à ses aspirations. Je ne  sais pas faire le front du peuple avec la TVA sociale…

Vous avez lancé votre campagne à la Fête de l'Humanité. Où en êtes-vous aujourd'hui ?
Jean-Luc Mélenchon. Tout ce que nous avons entrepris depuis la Fête de l'Humanité  montre la cohésion du Front de gauche. Le succès considérable de la  vente de notre programme témoigne de l'écho de notre campagne. Il nous  faut à présent mettre en place des « assemblées citoyennes », car il n'y  aura pas de résultat du Front de gauche sans mobilisation populaire. Le niveau d'exigence s'est considérablement élevé. Il sera la clé des élections.

Entretien réalisé par Mina Kaci et Max Staat



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