03sept 14

Interview parue dans les Inrocks du 27 août 2014

« Demain est à nous »

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Vous revenez de vacances, vous êtes reposé ?

J’ai écrit, c’est toujours ce qui me remet d’aplomb. Je prépare un livre à paraître en octobre (chez Fayard). Nous avons vécu une année très dure. J’ai passé l’été au bord de l’Aveyron, dans un moulin du 12eme siècle. J’observais quotidiennement la rivière.  Deux jours après un orage, le niveau de l’eau montait. J’ai aimé ce décalage entre l’amont et l’aval, j’y ai vu comme une allégorie de ce que je vivais. Je me disais, l’eau est basse mais l’orage débute à l’horizon.  

Avant ce congé estival, vous avez donné une interview remarquée au site Hexagones. Vous racontiez avoir “besoin de dormir, de ne rien faire, de bayer aux corneilles”. Beaucoup ont interprété cette phrase comme une volonté de prendre votre retraite politique, est-ce le cas ?

Je vais vous faire la réponse de Cyrano : « On n’abdique pas l’honneur d’être une cible ». Claironner ma retraite ce n’est pas l’obtenir. Jusqu’à mon dernier souffle je serai au combat.
Je le disais clairement dans cette interview. L’interprétation médiatique m’a pourri mon mois de juillet. J’ai reçu des tonnes de messages de mon camp : « Lâche pas, laisse pas tomber ». Des gens le prenaient sur un plan personnel : « tu n’as pas le droit de nous laisser tomber, c’est plus dur pour nous que pour toi ». Ou bien encore : «  De quoi tu te plains ». « S’ils te frappent, c’est que tu déranges. » D’autres ont cru que j’étais malade. Le plus pénible en politique, ce n’est pas le combat, ni ses incertitudes, ni ses revers, mais le traitement médiatique de mon action. J’en ai assez des photos et des insultes personnelles. De cette interview, on s’est intéressé à ma psyché mais je n’ai rien lu de mes propos sur l’agonie du monde américain, ni sur la politique de l’offre de François Hollande. Par contre, le « blues de Mélenchon » a suscité un appétit pervers de certains médias. Sans doute celui de voir tomber le gladiateur. Prendre du recul en vacances, la belle affaire ! Dans cet entretien, j’ai simplement dit que je comptais me mettre en retrait d’un certain nombre de tâches exténuantes.

Quel rôle souhaitez vous jouer à l’avenir au sein de votre mouvement ?

Je voudrais rendre mes responsabilités actuelles à la tête du parti. Je ne serai plus co-président. Je souhaite faire naitre un mouvement  pour la VIeme République et mener la lutte pour une Assemblée constituante. Ma tâche sera celle d’un éclaireur et d’un déclencheur.

Vous ne serez donc plus la figure de proue du Front de gauche ?

Les circonstances trancheront. Un mois après avoir fait un mauvais score aux Européennes, un sondage me donne comme le meilleur représentant des valeurs de gauche. Je suis déjà député européen, je suis constamment sollicité par ceux pour qui j’incarne la gauche un peu tout seul. Mais ces cinq dernières années politiques ont été dévorantes et chronophage. En temps voulu, je reprendrai mon clairon de combat. Je veux faire le tour du pays avec autre chose que des meetings. Je veux passer du temps avec les gens plutôt qu’en donner en courant.

Du jour où Olivier Besancenot a choisi lui-aussi de se placer en retrait de la vie publique, le NPA a périclité. Avez-vous conscience du risque politique que vous encourez ?

Vous n’avez pas tort. J’ai senti à bien des petites choses à quel point la surexposition médiatique d’Olivier Besancenot le rongeait. Je ressens la même brûlure. Mais je tire la leçon du NPA. C’est la difficulté de mon équation : changer de rôle sans affaiblir le Front de Gauche ni mon parti. Mais je ne veux plus être pris dans le petit monde des stratagèmes et des querelles byzantines. Je ne le supporte plus. Le moindre débat est interprété comme une querelle de personne. C’est rabougrissant.

Si vous renoncez aux manoeuvres d’appareil, tirez-vous pour autant un trait sur votre participation aux régionales l’an prochain ?

Mon activité principale va être de construire une critique du démantèlement de l’Etat Républicain et social que François Hollande est en train d’opérer avec la réforme territoriale. Je veux être dans l’argumentation et l’éducation populaire sans être directement impliqué par les enjeux électoraux.

Votre coup de blues ne date t-il pas de la victoire du FN aux européennes que vous aviez érigé en adversaire politique numéro un ?

Comment voulez-vous que ça me laisse indemne ? Voir l’extrême droite passer en tête est un évènement immense. Le pays a donné de lui-même un visage dans lequel je ne le reconnais pas. Notre stratégie a été mise en échec lourdement. Je ne veux pas le cacher. Il faut en tirer les leçons. Ne pas faire comme ces politiciens qui ont passé leur soirée à commenter tranquillement les affaires de leur petit supermarché politique. Cet aveuglement fait le lit du FN. Ils ont cru avoir domestiqué le chien mais le chien est monté sur la table. Il mange désormais dans leur assiette.

Quelles sont les causes de votre échec ?

La vague de l’extrême droite existe dans toute l’Europe. En France, ça fait 40 ans que les Le Pen labourent. Nous, cinq ans. Mais nous devons aussi examiner nos responsabilités. La question de l’indépendance du Front de gauche vis avis du PS et l’ancrage populaire est le fond de l’affaire. Le Parti communiste n’a pas partagé la ligne du Parti de gauche qui refuse de s’associer à un système en train de s’effondrer. Nous avons été rendus illisibles. L’ambiguïté nous a disqualifiés. Après quoi le pilonnage personnel contre moi a bien fonctionné. Des médias en ont rajouté tous les jours : il parle fort, il est agressif. Quand j’ai dit “je suis le bruit et la fureur de mon époque”. Personne n’a retenu “de mon époque”. Sans doute une partie de nos électeurs à la Présidentielle se sont dit “il y va trop fort” au lieu de se demander si j’avais raison ou tort.

Vos divergences stratégiques avec le Parti Communiste peuvent-elles expliquer à elles-seules la désaffection des électeurs ?

Quand on me dit « il faut rassembler la gauche », je ne comprends pas. Je n’ai pas envie de me “rassembler” avec Valls et Hollande. Je ne ferai jamais la danse du ventre devant des gens qui ne pensent qu’à nous instrumentaliser. Il faut que les dirigeants communistes le comprennent : le Parti socialiste tel qu’on l’a connu n’existe plus, il ne reste que son ombre portée. Stratégiquement, je pensais qu’il fallait disputer le leadership de la gauche. En fait, le système n’a pas peur de la gauche, il a peur du peuple. Il faut aller au bout du ton, du style, du programme qui est capable de fédérer le peuple donc surtout des gens qui sont loin de nous au départ. Nous n’avons pas a régler les problèmes de la gauche mais ceux de notre époque.

Comment définiriez-vous la politique gouvernementale ?

Elle est de droite.

N’est-elle pas sociale-démocrate ?

Non car les sociaux-démocrates font des compromis avec le capital. Le gouvernement de Lionel Jospin et ses 35 heures est la dernière tentative sociale-démocrate européenne. Qu’a demandé Hollande en contrepartie des 40 milliards de cadeaux au CAC 40 ? Rien. On se souvient comment il m’a singé durant la campagne présidentielle, avec son fameux discours : « mon ennemi c’est la finance ». Qui pouvait imaginer qu’il se renierait a ce point et si vite ? Et plus il en lâche plus le CAC quarante en redemande. Hollande confond le pays avec un congrès du PS. Il croit que des phrases mi chèvre mi chou suffisent a régler les problèmes. Mais le monde est dur. Voilà ce qu’a donné le soi disant « vote utile » : l’élection du plus futile.

Vous connaissez bien François Hollande, sa ligne politique vous surprend-t-elle vraiment ?

Que François Hollande soit droitier, je l’ai toujours su, menteur et roublard aussi. Mais je suis surpris que quelqu’un qui a passé autant de temps à la tête d’un grand parti soit si peu visionnaire au moment où les évènements du monde se précipitent. Il ne cherche pas de voie alternative parce qu’il n’a pas d’idées. Mais il aurait fait un bon président du comité des fêtes à Tulle.

Quelle stratégie politique poursuit-il ?

Se survivre. J’appelle ça le projet glauque. François Hollande avait commencé l’ère de la « dictamolle » au PS, il l’a poursuit dans le pays. Son plan B, c’est un second tour où il affronte Marine Le Pen et où il gagne automatiquement sans n’avoir rien besoin d’accomplir.

Espère-t-il ce second tour face à Marine Le Pen ou le provoque-t-il ?

Il l’organise politiquement. La montée de Le Pen lui permet de vampiriser la droite. Et si l’UMP fait l’erreur de s’allier à l’extrême droite, le balancier reviendra encore plus vite dans ses mains. C’est un apprenti sorcier. Il est le premier à dédiaboliser Marine Le Pen. Par exemple en la recevant à l’Elysée. Jacques Chirac s’y était refusé. Ajoutez à cela, les sorties de Manuel Valls sur les Roms ou contre les manifs pour Gaza, tout est fait pour dégrader le climat.

Quels sont les grands enjeux auxquels la France est confrontée ?

Ceux de la politique cupide de la finance. La France est pillée. Une masse de gens n’ont plus de vie et se battent pour survivre. Ils sont en état de survie. Mais il y a bien plus. Notre temps est structuré par deux lignes de pente dangereuses. Premièrement, le changement climatique. Le niveau de la mer montera d’un mètre quarante d’ici 2100. Il y aura environ 200 millions de migrants climatiques. Deuxièmement, nous sommes contemporain de l’agonie d’un empire, celui des Etats Unis. Ils vivent dans la peur panique qu’une autre monnaie vienne se substituer au dollar. Leur peur numéro un n’est pas le fondamentalisme islamique, ils sont plus fondamentaliste qu’eux.  Ceux qui écrivent sur leur billet de banque, “en dieu nous croyons”, sont mal placés pour reprocher a d’autres d’en faire une politique !  Avec l’Euro est apparue une monnaie concurrente adossée à 25 % du PIB mondial. Les Etats-unis ont intérêt à faire douter de l’Euro car cela renforce le dollar. Mais ils ne peuvent pas tout maîtriser. La Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud forment les BRICS, qui représentent 28% du PIB mondial et la moitié de l’humanité. Cet été, ils ont décidé de faire un fond monétaire commun et une banque commune. C’est un évènement considérable ! Le dollar va vaciller. Les USA préfèreront la guerre généralisée à l’effondrement de leur monnaie.

Quelle est votre position sur la crise Ukrainienne ?

On a fait entrer dix anciens pays de l’est d’un coup dans l’UE en les faisant auparavant adhérer à l’OTAN. Puis les USA ont conduit l’OTAN jusqu’à l’intérieur de l’espace Russe. C’est une politique provocatrice qui conduit a soutenir des partis néo nazis en Ukraine ! S’y ajoutent les batteries antimissiles en Pologne. Soit disant pour intercepter les missiles iraniens. Elles menacent 75% du dispositif de défense de la Russie. Hollande accepte et y envoie nos Rafales. Le résultat ? La Russie a repris la Crimée. Personne ne dit qu’elle doit la rendre. Les sanctions économiques des USA ne déstabilisent que les européens et l’euro !  Je suis pour la sortie de l’OTAN. Les Russes sont nos partenaires. Nous avons plus en commun avec les BRICS qu’avec les USA. En Europe, nous devons cesser d’être les dévots de Merkel et nous tourner davantage vers la méditerranée.  

Pourquoi ne pas vous être positionné pour la sortie de  l’Euro aux dernières élections ? Ne pensez vous pas que cela a pu faire pencher les victimes de la mondialisation libérale en faveurs du FN ?

Je n’ai pas a faire de la surenchère sur Marine Le Pen. Mon point de vue c’est l’intérêt de mon pays. L’Euro est a nous autant qu’aux Allemands. Pourquoi le leur abandonner ? L’Euro peut s’effondrer en effet. Ce sera un chaos. Il faut avoir le courage de dire où est le cœur du problème : l’Europe est malade de l’Allemagne. Leur commerce excédentaire l’est sur notre dos. Le coeur de l’électorat de Merkel est composé de retraités qui ont besoin d’un haut niveau de dividendes pour garantir leur retraite par capitalisation et d’un haut niveau de l’euro pour garantir leur pouvoir d’achat. Nous sommes un peuple de plus en plus jeune. Primo nous avons besoin d’investissement et d’équipement. Deuxio cela soulève la question du productivisme. Pour faire plus, il faut changer de méthode sinon nous allons tuer la planète et notre propre pays. Nous devons engager un nouveau modèle de développement. L’euro peut être un outil considérable si la Banque centrale n’a pas pour objectif premier la lutte contre l’inflation surtout quand la déflation s’annonce en plus de la récession ! L’élection européenne avait un enjeu : oui ou non au grand marché commun avec les USA qui se négocie en secret actuellement. Il a été impossible d’imposer ce débat. Ni l’UMP ni le PS ne voulaient qu’on les sache du côté des USA. Ce traité c’est la fin de l’Europe.

Une des raisons de vos déconvenues électorales n’est-elle pas aussi que votre offre politique est parfois trop théorique, comme lors de votre discours sur la VIeme République place de la Bastille lors de la dernière élection présidentielle ?

C’est ce qu’a dit l’historienne Mona Ozouf. Mais les Français ne sont pas des sots ! Le peuple est bien plus cultivé que ne l’imagine leur élite. Le rôle d’un dirigeant politique est d’éclairer le chemin pour que les citoyens puissent choisir leur parcours. Je dis aux gens la vérité : ce système n’est bon à rien, il est dirigé par les égoïstes du CAC 40 qui ne se soucient pas de la France ni de la planète. Leur seule patrie est leur porte feuille. « Je n’attends pas de récompense » comme disait Jaurès. Jusqu’à la victoire, il n’y a que des coups à prendre.  La question de la VIeme République est centrale parce que c’est celle de la règle du jeu de notre vie commune. Changer les institutions c’est faire le choix d’un changement radical par la méthode de la démocratie. Dans un processus constituant le peuple devient l’acteur de l’histoire. La constituante est donc le coeur de la stratégie révolutionnaire du XXIeme siècle.

Quelles sont vos idées concrètes pour réinventer la gauche ? Quels peuvent être vos alliés de demain ?

La gauche officielle doit finir son agonie. Ne nous occupons pas de leurs magouilles. Orientons nous sur le futur. La bataille pour une assemblée constituante est un point de départ décisif pour que notre peuple se réapproprie son propre pays. Puis créons un nouveau modèle. Comment relancer l’activité sans retourner au productivisme. Nous sommes le deuxième territoire maritime du monde. Je propose de faire une entrée écologique dans l’économie de la mer. Ce que nous ferons en mer nous permettra de changer nos méthodes à terre. Enfin il faut penser à la suite après l’annexion de l’Europe par les USA. La France devra sortir de cette chose. Ce sera le moment de redevenir une nation universaliste présente sur les cinq continents alliée au monde jeune du futur. Qui partage une partie de tout cela peut faire un allié. Mais ma cible c’est le front du peuple que je veux aider à faire naitre. Les appareils suivront ou pas. Peu importe.

Dans un de vos récents billet de blog, vous écrivez que vous êtes content d’avoir pu parler de Jaurès, un « sujet plus grand que moi ». La politique a t-elle une dimension sacrificielle pour vous ?

La seule religion que je pratique est la religion républicaine. Je ne fais pas carrière. C’est derrière moi. J’ai tout eu sur ce plan : trois fois sénateur, élu local et européen, ministre. Je pourrai avoir une autre vie: être un commentateur, on me l’a proposé. Je pourrais tenir une rubrique littéraire aux Inrocks, la rubrique fiction ou science et technique. Mais la tempête s’avance. Comment oublier les autres ? Comment cesser de vouloir changer le monde. J’ai mis les doigts dans la prise trop de fois pour arrêter. Je sais qu’on peut changer la trajectoire qui nous mène a une catastrophe de la civilisation humaine. Les dominants actuels ont fait faillite.

J'ai un message de confiance : le 1% qui dirige le monde n'aura pas le dernier mot. Demain est à nous.

Propos recueillis par David Doucet et Anne Laffeter



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