21mai 14

Interview parue dans l'Humanité du 20 mai 2014

« S’abstenir, c’est signer un chèque en blanc »

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Vous parlez de « refonder l’Europe », de mettre un terme à « l’Europe de la finance ». Comment rompre avec la logique libérale et austéritaire ?

Cette élection prend sa place au cœur d’une crise de civilisation en Europe, d’une nouvelle guerre en Ukraine, d’une transition climatique qui s’accélère, et d’une guerre sociale encore aggravée avec la directive « travailleurs détachés ». Tout cela tourne mal et rien dans le cadre institutionnel de l’Europe ne permet de redresser la situation. Au contraire. La politique des 3 % de PIB de déficit maximum s’applique avec férocité avec des plans d’austérité qui n’ont même plus pour prétexte leur justification initiale, à savoir les taux d’intérêt auxquels les Etats empruntent sur les marchés financiers puisque ceux-ci sont aujourd’hui les plus bas de notre histoire. La conduite de l’Europe est idéologique, aveuglée et à maints égards hallucinée. Nous représentons, nous, la possibilité d’une sortie par le haut. Nous n’avons jamais prétendu que ce serait simple ni que nous détenions seuls la possibilité de renverser le cours des choses. Mais l’objectif du Front de gauche est de constituer d’élection en élection un rapport de forces et surtout de constituer un peuple politique. Le changement écologique et social n’est pas un supplément d’âme, c’est le cœur de ce qui peut permettre cette sortie de crise par le haut.

Jeudi, les députés du Front de gauche déposeront une proposition de loi pour mettre un terme aux négociations autour de la création d’un marché transatlantique entre l’Europe et les Etats-Unis, quels dangers les pays de l’Union encourent-ils ?

Ce traité ne porte pas seulement sur les droits de douanes mais sur les normes non tarifaires, c’est-à-dire sur tout ce qui concerne le contenu des marchandises, la manière de les produire et de les échanger. Pour le Front de gauche, c’est six ans de combat. En 2008, Mme Le Pen approuvait le calendrier du Grand marché transatlantique et les Verts ont voté pour jusqu’en 2011. Quant aux socialistes, ils prétendent qu’ils n’accepteront pas n’importent quoi et, d’un autre côté, ils démontent le texte de notre camarade André Chassaigne à l’Assemblée nationale ! Mais le plus grand danger de ce texte réside sans doute dans la création de tribunaux d’arbitrage qui constitueraient un recul démocratique fantastique au profit d’une prétendue raison technicienne ou qui tiendrait aux lois naturelles du marché. La loi ne s’appliquerait ainsi plus à tout le monde et, surtout, les multinationales pourraient peser sur les décisions des Etats. Les parlementaires européens sont les seuls dont on est sûr qu’ils auront à se prononcer sur le sujet. Je comprends les colères et les frustrations accumulées mais il n’y aurait pas de meilleur service à rendre à ceux qui nous ont accablés que de leur donner un chèque en blanc en s’abstenant.

Espérez-vous toujours apparaître comme un recours pour l’électorat de gauche alors que les députés PS qui se sont abstenus sur le plan de rigueur du gouvernement ont refusé de prendre l’autonomie vis-à-vis de leur parti que vous leur proposiez ?

Il faut se sortir de l’immédiateté médiatique. Nous sommes arc-boutés dans l’effort pour ouvrir un chemin. Je dis aux députés PS : autonomisez-vous. S’ils pensent que la politique du gouvernement Valls n’est pas la bonne, le Front de gauche est prêt à en discuter avec eux et à participer à une majorité d’un type nouveau sur la base d’une autre orientation politique. Ce n’est pas simple. Le logiciel social-démocrate est épuisé. Quant aux Verts, je ne crois pas qu’ils retourneront au gouvernement : on ne descend pas d’une ambulance pour monter dans un corbillard. Mais ils envoient un signal très ambigu avec la candidature de José Bové à la présidence de la Commission européenne. Il s’érige en gardien des traités et propose de pousser jusqu’au bout la logique libérale de la concurrence libre et non faussée. C’est une candidature de refus du rassemblement pour une alternative en France et en Europe.

Comment réunir ces forces, dans ces conditions ?

Il faut chercher les points de passage communs, en usant de la méthode qui a fait la force du Front de gauche : tracer une ligne d’horizon, chacun se donnant ensuite les moyens de se dépasser pour y parvenir. Ecologistes, communistes, socialistes de gauche et nous-mêmes partageons cette idée d’un intérêt général humain, et de biens communs de l’humanité. En partant de ces biens communs, nous pouvons décliner un programme extrêmement audacieux susceptible de rassembler un arc de forces politique large mais aussi de créer une dynamique positive dans la société.

Craignez-vous que la déception engendrée par le gouvernement ne profite lors des européennes à la droite et à l’extrême-droite ?

C’est le risque, et la seule manière de nous aider dans cette bataille est de voter pour nous. L’alternative ne peut pas être entre Manuel Valls ou la droite ou l’extrême droite. Il n’y a donc qu’une chose à faire, simple, tranquille, rationnelle : mettre un bulletin de vote en faveur d’une alternative de gauche claire sur ses objectifs. Aujourd’hui, nous sommes les seuls a proposer clarté et unité.

Les divergences à propos des élections municipales et les négociations concernant les européennes ont laissé des traces dans le Front de gauche, comment retrouver une dynamique militante et citoyenne ?

Les deux choses ne sont pas à mettre sur le même plan, il y a une différence substantielle entre ce qui était une divergence sérieuse et profonde de stratégie aux élections municipales, et la composition des listes aux européennes sur laquelle je ne ferai pas de commentaires. Pour une raison simple : ce qui importe, c’est l’alternative que nous incarnons en France et en Europe. Je me fiche de savoir qui est élu, ce qui m’importe c’est qu’il soit élu. Et contrairement à ce que j’entends, je tiens à dire qu’il n’y a aucun différend personnel entre Pierre Laurent et moi. Nous nous parlons beaucoup. Nos divergences ont leur dignité, ce sont des questions de stratégie fondamentale. Dans cette période tumultueuse, personne ne peut dire à coup sûr comment procéder. Mais il n’y a pas une feuille de papier à cigarettes entre nous sur les questions européennes.

Mais comment envisagez-vous la suite du Front de gauche après les élections ?

Avec bonhommie. Si nous faisons un bon résultat, tout sera simple. La logique du Front de gauche ne s’inscrit pas dans une logique partidaire. Son objectif n’est pas le doux confort de ses composantes. C’est de devenir un front du peuple. Il y a deux chemins pour cela : la construction d’un mouvement politico-social, comme nous l’avons affirmé dans nos manifestations de rue, et celle d’une coalition permettant d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Nous sommes la génération politique qui doit inventer une stratégie politique radicalement nouvelle pour changer le monde. La révolution citoyenne est une doctrine dont nous sommes en train de fabriquer le contenu, en Amérique latine, au Maghreb et en Europe. Cessons de ne voir que ce qui bloque,et voyons ce qui a avancé. C’est considérable.

Entretien réalisé par Julia Hamlaoui et Sébastien Crépel



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