25avr 14

Interview parue dans Marianne du 18 avril 2014

Mélenchon : « Notre heure viendra »

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Le leader du Front de Gauche croit plus que jamais en l'émergence du "mouvement politico-social" dont il rêve. Et il voit dans les élections européennes l'occasion de "mettre en panne le régime".

 

Marianne. – Après le succès de la manifestation du 12 avril, avez-vous le sentiment d’être sinon écouté, au moins entendu ?

JLM : Par définition, Hollande n’entendra rien et Valls est payé pour ne pas comprendre. Mais est-ce l’essentiel ? Qu’est ce qui change la donne ? C’est le mental des marcheurs : ils sentent qu’ils sont une force grandissante. En fait cette marche constitue un objet très neuf. Les commentateurs le voient-ils ? Elle est portée par des forces dont nul n’imaginait qu’elles se rassembleraient. Le Front de Gauche, déjà, est un petit miracle. Mais en plus, vous trouvez désormais des écolos – c’est extraordinaire qu’ils aient été là en nombre! –, et des socialistes dissidents notoires. Et aussi des associations qui n’avaient jamais défilé dans une manifestation politique, comme Réseau Education Sans Frontières, le DAL. Enfin, il y a des cortèges syndicaux sous leurs propres bannières ! Ce mouvement politico-social dont on a rêvé si longtemps est donc, en train de se constituer. Ici et maintenant. C’est la politique qui le rassemble. C’est inédit en France. Cette force naissante va à la rencontre d’un défi certain : sous le coup de la crise écologique et de la crise financière, toute l’humanité se trouvera au pied du mur, contrainte de trouver une solution différente de tout ce qui est en train d’échouer. Que messieurs Hollande et Valls pensent ce qu’ils veulent : notre heure viendra. Pour des raisons qui tiennent à la force des circonstances. Eux se sont mis dans un étau. Ils ont signé à la vie à la mort avec la Commission européenne et Mme Merkel. Ils seront donc punis par où ils ont péché.

Marianne. – Cette pluralité, qui est un atout dans les manifestations, ne devient-elle pas un handicap lors des élections ?

JLM : C’est vrai, j’ai eu bien peur aux élections municipales. Notre engagement politique est aussi cousu d’affects. Et il y a eu de la casse humaine au Front de gauche. Il y a des gens qui ne se supportent plus après avoir fait campagne les uns contre les autres. Notre culture commune habituée à la diversité va nous permettre de surmonter ça. Je ne fais pas de la diversité un absolu, ce sont les circonstances qui en créent l’obligation. Impossible d’être efficaces autrement qu’en étant très divers. On ne peut être singuliers qu’en étant pluriels. Si on essayait d’uniformiser, on perdrait en attractivité. Et il faudrait se lancer dans des débats trop abstraits. Ce qui compte c’est de construire chaque étape en se demandant – chacun avec ses outils, ses analyses différentes – comment on affronte l’obstacle.

JMS : Comment comptez-vous affronter l’échéance européenne?

JLM : Pour le Front de Gauche, le socle du « non » (au traité constitutionnel NDLR) a fourni une architecture intellectuelle assez évidente. Après, il y a des nuances. Par exemple, l’euro. Certains, dans nos rangs, pensent qu’il faut en sortir. Moi, j’ai une position plus « tactique ». Je n’ai jamais admis l’euro « Merkel ». L’euro que nous avons actuellement est un euro bâti contre l’inflation. Pourquoi ? Pour que la rente des retraités par capitalisation (le cœur de l’électorat de Mme Merkel) ne fonde pas. Et alors ? Notre pays ne doit pas e doit pas renoncer à sa puissance. Sur l’Euro les intérêts de la France convergent avec ceux du grand nombre en Europe. Si je gouvernais, je ne commencerais pas par dire  « il faut sortir de l’euro ». J’exigerai le changement des « missions et méthodes de la Banque Centrale ». Qu’elle ait l’obligation de gérer la monnaie non pas contre l’inflation mais en fonction de l’emploi et d’un développement écologiquement responsable. Si je ne trouvais pas une majorité des gouvernements en Europe pour approuver cette proposition, eh bien, oui je consulterais le peuple français pour savoir s’il veut continuer d’obéir aux règles qu’impose la conception allemande de l’euro. J’ai bien conscience de l’impact de cette décision. Si la France sort de l’euro, l’euro meurt, mais une zone mark élargie émerge aussi. C’est un autre contexte géopolitique. Je sais qu’il est « tendance » de l’ignorer, mais la géopolitique détermine la politique.

JMS : Est-ce que les résultats des élections européennes peuvent faire bouger les lignes?

JLM : Evidemment ! Tout peut changer. Nous allons élire des députés européens, et ces derniers voteront pour ou contre le « traité transatlantique ». C’est là l’enjeu crucial du scrutin. Car si ce traité passe, c’est la fin de tout projet d’Europe politique, sociale, ou écologique ! La question sera réglée ! Chaque vote socialiste, UMP, ou centriste, est un vote pour un député qui approuve la création de ce monstre transatlantique. Chaque fois que vous votez Front de gauche, vous votez pour quelqu’un qui s’oppose à un traité dont la finalité est de détruire l’Europe et les nations qui la constituent. C’est l’enjeu européen réel.
Et puis il y a aussi un enjeu national. Dans tous les pays où l’on vote, un nouveau rapport des forces politiques va être installé. En France, spécialement, ce vote peut donner une mise en panne du régime très féconde. L’échec qui frapperait le nouveau gouvernement viendra après le désastre électoral qu’il est censé effacer. A peine créé il est déjà lourdement affaibli par le départ des ministres Verts. Et au premier vote de l’assemblée il se produit un événement jamais vu depuis1962 : 11 députés du parti majoritaire refusent la confiance ainsi que la moitié du groupe parlementaire écologiste qui soutenait le gouvernement précédent. Ce sont là des événements incompatibles avec l’esprit de la Vème République. Ils sanctionnent immédiatement la combinaison gouvernementale. On m’objectera qu’il y a des sondages favorables à Valls. En fait ils contiennent son arrêt de mort politique. Pourquoi ? La majorité des gens qui se déclarent satisfaits du Premier ministre sont de droite. Il suffit de les convoquer aux urnes ils voteront pour Sarkozy et non pour sa copie ! Et l’actuel chef de l’Etat ? Il est quand même la pierre angulaire du système ! On découvre qu’il n’y a que 2 % qui sont « très satisfaits » de lui. On voit bien qu’on atteint un étiage de fragilité absolue du système. Il ne tient que si la droite et le Medef sous-traitent le « sale boulot» au PS et si les députés socialistes acceptent de le faire. Alors le système peut agoniser longtemps comme en Grèce. Le soir des élections européennes, l’important sera de voir de combien le total de la gauche non gouvernementale (Front de gauche, EELV, NPA…) dépasse le PS. Pour moi l’élection doit nous permettre de prouver qu’il existe une alternative majoritaire à gauche. Après quoi les députés socialistes devront choisir entre la ligne Valls et la ligne de rupture avec cette politique.

Marianne. – Justement, est-ce que Valls peut faire autre chose que du Hollande, peut-il créer la surprise ?

JLM : Non, il ne peut rien faire d’autre que ce qu’il fait déjà. Et il va faire pire parce qu’il doit prélever 50 milliards d’euros de plus sur le pays. Tout ça, au nom d’une formule qui relève de la poudre de perlimpinpin : la politique de l’offre. Mais nous ? Pouvons-nous être une alternative ? Oui. La victoire municipale à Grenoble (où une coalition Verts-Front de gauche a gagné NDLR) le prouve. D’un coup, l’abstention diminue, et des milliers de gens sortent des quartiers – où, au premier tour, ils ne s’étaient pourtant pas mobilisés ! Parce que soudain la victoire devient crédible : ils veulent participer à cette dynamique nouvelle. Il y a dans ce qui s’est passé à Grenoble quelque chose qui s’apparente au processus des révolutions citoyennes. La vieille gauche est balayée en même temps que la droite et le FN. Tous ceux qui se sont cramponnés aux vieilles formules, notamment le socialiste M. Safar qui l’a fait de manière sectaire, arrogante et technocratique, à l’image du PS d’aujourd’hui, sont anéantis.

Marianne. – Dans son livre La faute politique de Jean-Luc Mélenchon, le socialiste Julien Dray vous reproche de chercher systématiquement l’antagonisme avec le PS, là où il faudrait s’unir pour vaincre la droite.

JLM : Dray a repris du service pour Valls. Avant quoi il s’ennuyait. Il a écrit un livre, il y a mon nom dans le titre, il espère vendre. Mais que dit-il ? Sa chanson de l’unité, c’est le pipeau du joueur de flûte de Hamelin. On ne peut pas faire l’unité pour faire la politique de Valls, sinon ça se saurait : les électeurs auraient répondu présents. Quelle escroquerie! Son « unité » est une variante du « vote utile » et autres armes d’hallucination massive dont le PS a l’habitude de bombarder les consciences. L’« unité » dont il parle ce serait notre reddition sans conditions au libéralisme. L’unité à construire c’est celle que nous faisons sur des bases claires avec un nombre croissant d’alliés comme dans la marche du 12 avril. Ensuite que montre Dray sinon une peur puérile du conflit ? Mais qu’est-ce que la démocratie si ce n’est pas précisément maitriser, organiser le conflit puis laisser trancher par un vote qui prend la décision ? Au fond, les socialistes aimeraient que personne ne leur discute la rente de situation du « vote utile ». C’est la polémique qui créé la conscience. Sinon le pays serait éternellement condamnée au mouvement du pendule de l’horloge au salon qui passerait de l’UMP au PS, puis du PS à l’UMP … jusqu’à la catastrophe finale. Donc oui, il faut se confronter au PS pour ne pas laisser le pays entrainé dans le néant avec lui ! Polémiquer avec lui c’est le traiter avec respect. C’est considérer qu’il pense, qu’il a une stratégie, qu’il a une vision du monde, même si on sait que c’est juste un astre mort équipé d’un logiciel libéral, atlantiste et productiviste complètement obsolète. Polémiquer, débattre, confronter, cela nous oblige nous aussi à être bons, à être meilleurs, à ne pas accepter les angles morts de notre propre pensée. A l’inverse Dray porte le fantasme aseptisé de la classe moyenne supérieure : choisir la politique sur catalogue, à condition que ce soit du papier glacé et que ça sente bon. Mais non. L’espace social aujourd’hui est rempli de bruits, de souffrances, de larmes, de joies, d’éclats de rires et de voix ! La vie sent fort et il faut la prendre comme ça. Réveillez-vous les morts : il y a du bonheur à polémiquer ! Ceux qui prétendent l’inverse sont de grands hypocrites. Nous autres Français sommes les enfants d’une culture protestataire et libertaire. C’est peut-être pour cette raison que notre peuple est le cratère de l’Europe.

Marianne. – Des lignes de rapprochement peuvent-elle s’esquisser entre le Parti de gauche et les Verts, dans le sillage de ce que vous avez appelé «l’éco-socialisme » ?

JLM : Oui. La victoire de notre alliance à Grenoble n’est pas politicienne. Elle est enracinée aussi dans un humus commun. L’écologie politique a ouvert un nouveau chemin pratique et intellectuel. Personne ne peut enlever aux Verts d’avoir fait ce travail. Le monde n’a pas commencé avec le Parti de Gauche en 2008. Notre ambition n’en est pas moins grande ! Nous nous voulons synthétiseurs, éclaireurs et déclencheurs. Convenons que le soin de l’écosystème n’appartient pas davantage aux Verts que l’amour de l’humanité n’appartient aux humanistes. Au Parti de Gauche, nous avons la fierté d’avoir présentés les premiers une synthèse cohérente de l’impératif écologique avec la visée socialiste et républicaine. Tel est notre « éco-socialisme ». Il y avait eu des travaux avant, mais ce sont nos Assises qui ont permis la publication des 18 thèses, puis leur présentation dans une cinquantaine de villes en France et dans plus d’une dizaine de capitales d’Europe et du Maghreb ! La discussion est permanente depuis. Donc nous parlons la même langue avec les Verts. Nous partageons les mêmes luttes : contre l’enfouissement des déchets nucléaires ultimes à Bure, l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, l’exploitation du gaz de schiste … Cette convergence n’a cessé de se développer. Puis on a vu aussi les drapeaux du PC se mêler souvent à nos drapeaux rouges et verts. Tout cela est passé sous les radars de l’observation médiatique, parce que ces luttes sont souvent traitées avec condescendance. Mais il y a d’un côté cette construction moléculaire d'une nouvelle gauche certes héritière du passé mais radicalement mutante. Un peu laborieuse ? Mais jour après jour, elle progresse. De l’autre côté, la nécrose du mouvement socialiste s’étale à chaque choc électoral. Décomposition, recomposition. La vie se cherche son chemin. Et la vie finit toujours par prendre le dessus.

 

Propos recueillis par Joseph Macé-Scaron.



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