03mai 13

Interview parue dans Métro le vendredi 3 mai 2013

« Les Français sont désemparés »

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INTERVIEW – Sa manifestation du 5 mai, les relations de la France avec l'Allemagne, la VI République, sa présence à la tête du gouvernement… autant de sujets évoqués avec Jean-Luc Mélenchon, l'Invité des Indés-Metro-LCI.

La manifestation à laquelle vous appelez dimanche est-elle contre la politique économique et sociale du gouvernement ? 

Oui, mais c'est un tout. Nous voulons un changement de régime, une République parlementaire où l’action populaire est possible, une VIe République. Mais nous avons également deux autres mots d'ordre contre la finance et l'austérité. Nous ne sommes pas en train de tirer sur l'ambulance Ayrault. Nous pensons qu'il faut un profond changement politique.

Concrètement que mettez-vous dans cette VIe République ? 

Il y a un premier élément qui est que nous ne sommes pas favorable à proclamer le texte de la VIe République, mais confier cette mission à une Assemblée constituante. Deuxième grand chapitre : introduire les droits civiques dans l'entreprise, c'est à dire faire prévaloir l'intérêt général dans l'entreprise. Et enfin mettre en place une règle verte. C'est à dire qu'on ne prend pas plus à la nature que ce qu'elle peut reconstituer. 

L'objectif de 100 000 personnes pour la manifestation du Parti de gauche de dimanche semble très ambitieux au regard de la mobilisation de ce 1er mai…

Ne réduisons pas notre manifestation au Parti de gauche, c'est beaucoup plus ample. Comme vous le savez, Mme Joly et M. Besancenot, qui ne veut pas entendre parler de moi, seront présents. Et vous ne pouvez pas mettre sur le même plan les manifestations d'ouvriers du 1er mai, qui ont été réussies, en dépit de tout, avec Mme Le Pen et son rassemblement guignolesque devant l'Opéra, où ils étaient à peine 3000, moins que l'année dernière. 

Selon un récent sondage CSA pour BFM-TV la dégringolade de Hollande profite à Marine Le Pen. Comment l'expliquez-vous ?

Cette dégringolade profite d'abord à M. Sarkozy. Ça change tout. Il n'y a plus de patrimoines électoraux. 20% des Français voteront à gauche, 20% à droite, tout le reste est désorienté, désemparé. Leurs convictions ne sont plus représentées politiquement. La vie politique est faite de dynamique sociale, de dynamique intellectuelle. Regardez ce qu'a fait Nicolas Sarkozy. Il a très bien fait son travail d'homme de droite décomplexé. Hollande s'est fait élire sur le discours du Bourget en disant : "La finance est mon ennemi". Et qu'est-ce qui se passe ? Aujourd'hui, il la cajole. Donc les gens sont démoralisés. 

Si vous étiez aujourd'hui à la place de François Hollande, dans les négociations avec l'Allemagne, comment pouvez-être certain que vous feriez mieux ?

Ce qui est certain, c'est qu'on ne gagne jamais une bataille qu'on ne mène pas. Et Hollande ne s'est pas battu. Il ne comprend rien à la façon dont fonctionne la tête d'un dirigeant de la CDU. Madame Merkel, je la mets en cause parce qu'elle est à la tête d'un grand pays de 80 millions d'habitants, qui se sent absolument tranquille parce que, quoi qu'il dise, tous les autres sont d'accord, fascinés qu'ils sont par le matraquage idéologique qui fait de l'Allemagne un soit-disant modèle.

Comment faire ? Je tiens à rappeler que nous ne sommes pas un petit peuple, nous ne sommes pas des bons à rien comme l'écrivent constamment les déclinistes dans les grands journaux. La France est une grande Nation, très forte, très puissante dans les domaines intellectuels. Nous allons être le peuple le plus nombreux d'Europe d'ici 15 à 20 ans. Nous sommes un peuple jeune, avec des besoins de jeunes. Nous sommes la Nation stratégique d'Europe.

a question est de savoir quels sont les intérêts des peuples, des Allemands et des Français. Et là, on discute, on voit comment on peut s'accorder ensemble. Les Allemands ne sont pas en état de nous dire non sans y regarder à deux fois. Nous sommes en état de fédérer les pays de l'Europe du Sud, tous ruinés et pris à la gorge.

Enrico Letta, chef du gouvernement italien, est justement opposé à une union des pays du sud contre l'Allemagne ?

Qui ça ? Ça ne compte pas, Letta n'est rien du tout. Sa légitimité politique est égale à zéro. Il n'a pas été élu pour faire un gouvernement d'union nationale. D'ailleurs il n'a été élu par personne puisque ce n'est pas lui qui dirigeait le Parti démocrate. C'est l'une des marionnettes de la troïka. Il fait de la com'. Il se rapproche de François Hollande, qui est un autre ectoplasme de la même tribu, pour, finalement, se rallier à Mme Merkel.

Si vous étiez Premier ministre, auriez-vous demandé à Arnaud Montebourg de s'opposer au rachat de Dailymotion par Yahoo! ?

Bien sûr, mais je n'aurais pas fait que ça. Mais je lui aurais dit : 'Mon garçon, il faut te réveiller.' Notamment pour ne pas arriver à l'ouverture de 70% du capital d'EADS au marché. Ou quand Alcatel-Lucent décide de mettre en dépôt à la banque Goldman-Sachs 29 000 brevets sur la téléphonie française pour garantir un emprunt qui est uniquement fait pour couler l'entreprise…

Stéphane Richard, PDG d'Orange, n'est pourtant pas satisfait…

Lui, il doit se taire car il doit obéir à son actionnaire principal qui est l'Etat (à 27%, ndlr). Il est notre commis, il n'élève pas la voix. Ce n'est pas à lui de décider de ce qui est de l'intérêt de la patrie. On connaît sa manière de raisonner. Parce qu'on sait comment est traité le personnel de France Telecom. Qu'il baisse donc d'un ton. Il y a longtemps qu'ils (les grands patrons, ndlr) ont perdu de vue l'intérêt national, l'intérêt de notre patrie républicaine, l'intérêt de notre souveraineté technique. Quand il n'y aura plus de souveraineté technique, alors, on sera obligés d'obéir (à la finance mondiale, ndlr)

Seriez-vous prêt à travailler avec les socialistes aujourd'hui ?

Bien sûr, surtout si c'est moi qui dirige le gouvernement. Il y a eu une majorité qui s'est constituée au second tour de l'élection présidentielle grâce aux électeurs socialistes et à ceux du Front de gauche. On pense donc que l'on peut revendiquer une part significative de la victoire. On était en droit d’attendre que François Hollande tienne compte de l'ensemble des constituants de sa majorité. Or, ce n'est pas du tout ce qu'il a fait. Ce qu'il a fait, c'est emprunter ses arguments à l'adversaire.

Avez-vous parlé de Matignon avec François Hollande les yeux dans les yeux ?

On ne peut parler les yeux dans les yeux avec François Hollande. Mais c'est au chef de l'Etat de dire où il place le curseur politique. Lui l'a mis à la droite du PS. Il pourrait, de la même manière, décider de le mettre plus à gauche et de changer de cap. Il a une majorité pour cela.

Propos recueillis par Christophe Joly (Metro), Géraldine Muhlmann (Les Indés) et Frédéric Delpech (LCI) 



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