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Interview publiée dans Libération le 30 novembre 2012

« Marier le rouge avec le vert »

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Marier le rouge avec le vert. Jean-Luc Mélenchon et son Parti de gauche organisent demain à Paris leurs «Assises de l'écosocialisme». Plus écologiste que jamais, l'eurodéputé Front de gauche et ancien candidat à la présidentielle explique cette nouvelle synthèse.

Alors vous concourrez désormais au titre de meilleur écologiste de France ?

La question ne se pose pas ainsi… Les Verts sont les fondateurs. Ils ont ouvert avec ténacité le chemin. Mon évolution témoigne de leur succès. Mais ils sont la préhistoire de l'écologie politique. Désormais, nous sommes en avance sur le plan programmatique. Surtout, nous apportons l'héritage de la première gauche, du socialisme historique : ses méthodes, sa discipline de pensée, le lien entre luttes, prises de conscience et doctrine. C'est ce que j'appelle l'écosocialisme.

Mais c'est quoi cet «écosocialisme» ?

Le but émancipateur du socialisme agissant dans le cadre de l'impératif écologique. Dix-huit thèses sont soumises demain au débat de nos assises pour résumer cette nouvelle façon de poser les problèmes. Je crois que ce document devrait fonctionner comme une passerelle vers l'écologie politique pour de nombreux secteurs de pensée de la gauche traditionnelle, qui y trouveront les bases d'une refondation de leur propre doctrine. Quant au fonctionnement du modèle économique écosocialiste, il se base sur des outils simples d'usage : l'implication citoyenne sur tous les sujets et en tous lieux, la planification écologique, et la règle verte comme arbitre de toute décision. Il y a aussi le changement radical du mode de consommation. C'est culturel, plus difficile à manier. Protégeons-nous de la tentation inquisitoriale de l'écologie punitive ! La règle verte, c'est simple et mesurable.

C'est-à-dire ?

Il faut cesser de produire et d'échanger dans des conditions telles que la capacité de renouvellement de l'écosystème n'y répond plus. C'est simple, ça se chiffre et ça se planifie.

Les responsables et militants d'Europe Ecologie – Les Verts (EE-LV) sont loin d'être des «inquisiteurs»…

Ils subissent en ce moment une fructueuse crise d'identité avec leur participation à un gouvernement productiviste. Ils ont plusieurs doctrines, et ils manquent d'une synthèse théorique. Sur le plan de la pratique politique, nous sommes en compétition – pas en concurrence. Notre horizon, c'est le rassemblement et l'hégémonie culturelle de la matrice écosocialiste.

Vous souhaitez aspirer EE-LV ?

Non… Mais la porosité entre ce qu'ils disent et ce que nous disons va s'accélérer. Nous ne sommes pas en guerre avec les écologistes. Plutôt en complicité : nous prenons tranquillement notre place dans cette famille politique en gagnant nos galons dans les luttes. Comme à Notre-Dame-des-Landes ou contre les gaz de schiste.

Au PS, vos ex-camarades disent «Jean-Luc est aussi écolo que je suis pape»…

Les socialistes ne font aucun travail idéologique sur le sujet depuis des années. Ils croient que tout le monde est aussi cynique qu'eux. Mes premiers textes sur le sujet datent de 1992 ! Quand se sont-ils rendu compte que l'écologie ne se limitait pas à éviter de mettre du désherbant dans leur jardin autour de leur piscine ? Pendant la campagne présidentielle, j'ai fait un grand travail d'éducation populaire sur l'écologie et la planification écologique. Oui, je suis d'origine socialiste avec costard trois pièces. L'avantage, c'est que certaines catégories sociales écoutent ce que je dis : ingénieurs, techniciens, ouvriers hautement qualifiés… C'est à eux que je veux parler. L'écologie, ce n'est pas le retour à la bougie ! C'est une bifurcation de notre outil productif. C'est un défi intellectuel et technique fascinant ! Je suis certain de les passionner.

Cette planification écologique nécessite-t-elle de nationaliser les industries ?

Autant que de besoin ! La propriété est une institution sociale pas un droit naturel. Mais nous n'avons jamais dit que nous allions tout socialiser ! Pour réussir cette planification écologique, il faut être dans le temps long. Certaines entreprises doivent être nationalisées, dans d'autres on va changer les compteurs : les investisseurs n'auront pas le même pouvoir de vote s'ils s'engagent pour dix ans ou juste pour quelques mois.

Sur la nationalisation de Florange, voyez-vous Hollande aller au bout ?

Je reste plein d'espoir… Mais j'entends aussi Michel Sapin [le ministre du Travail, ndlr] dire qu'«on n'est pas en Union soviétique». J'imagine tous ceux qui vont dire à Hollande : «Tu vois dans quoi tu mets le doigt ?» Ils vont lui dire que si on nationalise Florange, alors il faudra faire la même chose à Petroplus, etc. Le sujet connaîtra d'amples rebondissements. Ils se sont mis au pied du mur.

Vous restez persuadé que la politique actuelle conduit les socialistes à leur perte ?

Leur modèle ne marche nulle part ! S'ils ont un contre-exemple à me donner, qu'ils n'hésitent pas à dire où. Le nôtre fonctionne dans neuf pays d'Amérique du Sud. Lorsque Georges Papandréou, ex-Premier ministre grec et président de l'Internationale socialiste, cède aux marchés et ouvre la brèche en Europe, fin 2010, c'est aussi criminel que le vote des crédits de guerre par les sociaux-démocrates allemands avant la Première Guerre mondiale. Quand les socialistes français me traitent d'extraterrestre, d'homme en dehors du réel, cela montre leur désarroi. Et dire que je mise sur leur échec est un sophisme d'un cynisme absolu. Autant dire que le pompier mise sur l'incendie ! Faudrait-il se taire ? La social-démocratie est partie en torche ! Partout en Europe ils perdent les élections… Sauf en France. Mais grâce à qui ? A nous, l'autre gauche ! Hollande prend-il en compte le fait qu'il n'a pas été élu par les seules voix socialistes ? Pourquoi tient-il compte seulement des éléments les plus droitiers et les plus archaïques de sa majorité ? François Hollande est aussi aveugle que Louis XVI. Incapable de penser un autre monde.

Le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, a été reçu hier par Harlem Désir, premier secrétaire du PS. Demandez-vous à être aussi reçu ?

C'est quand même incroyable, je serais le seul qui devrait «demander»… Le PS fait la démonstration d'un sectarisme de commande. Pour qui ces socialistes se prennent-ils ? Ne comptez pas sur moi pour aller défiler à Solférino le béret à la main voir notre bon maître… Surtout après ce qu'ils nous ont déjà dit : «Merci de ranger vos amendements et de démonter les cabanes de Notre-Dame-des-Landes.» Je suis un homme de dialogue sans masochisme. La ligne constante des socialistes est de chercher la faille entre les communistes et nous. Le PS n'a toujours pas intégré l'idée même de l'existence du Front de gauche. Ils vivent hors du réel.

Que ferez-vous si la législative d'Hénin-Beaumont est invalidée ?

Si les copains jugent que c'est utile que je revienne mener le combat, je suis disponible, j'y retournerai. C'est la pire campagne que j'ai jamais vécue, mais j'ai eu raison d'y aller : je n'étais pas le sortant et j'ai gagné 1000 voix en trois semaines. En cas de nouvelle élection, tout le monde se dit que Marine Le Pen va être élue. A gauche, on en est déjà à se demander qui serait tenu responsable de cet échec. Mais si on commence à réfléchir ainsi, on ne fait rien ! Prenons les choses dans l'autre sens : je n'ai rien à perdre à me confronter de nouveau avec elle. Le plus clair serait que les gens aient à choisir entre un bulletin FN et un bulletin Front de gauche. Si elle gagne, les gens intelligents comprendront que les socialistes et les républicains de droite auront préféré la laisser passer plutôt que de me voir à l'Assemblée nationale. Si je gagne, c'est une bombe politique en France et en Europe.



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