28oct 11

Interview publiée dans Terra Eco

Ecologie, référendum sur le nucléaire et énergies renouvelables

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Jean-Luc Mélenchon, vous n’êtes plus socialiste.Vous n’êtes pas communiste. Seriez-vous « mélenchoniste » ?
Jean-Luc Mélenchon. Quelle horreur ! Je réprouve totalement les délires égotiques auxquels donnent lieu la pipolisation et la présidentialisation de la vie politique. Je suis de gauche comme l’indique le nom de mon parti et celui du Front. Ce n’est pas par manque d’imagination, mais parce que nous avons l’ambition d’être un creuset idéologique permettant aux différentes traditions de la gauche de se revisiter et de s’actualiser.

Vous avez décidé d’accoler au Parti de gauche un sous-titre : « Ecologie – Socialisme – République ». Pourquoi ce ralliement à l’écologie ?
Jean-Luc Mélenchon. Malgré nos querelles et nos affrontements, Les Verts ont popularisé en France les idées écologistes. Ils ont fait évoluer les esprits et le mien en particulier. J’ai pris conscience de l’impasse dans laquelle se trouvaient les stratégies traditionnelles de gauche pour rendre compte de l’époque et répondre aux défis qui se posaient. Il fallait être aveugle pour ne pas voir que le modèle communiste, comme le modèle social-démocrate, intégrait une dimension productiviste qui est une aberration eu égard aux limites de la planète.

Votre sensibilité écologiste est peu médiatisée…
Jean-Luc Mélenchon. C’est mon histoire, je ne viens pas de l’écologie politique. Les journalistes m’attendent souvent à une autre porte et je suis aussi plus prolixe sur le partage des richesses que sur le problème de la bifurcation climatique. Mais je ne cesse de travailler sur ce sujet.

Si vous êtes élu, quelle première mesure en faveur de l’écologie prendrez-vous ?
Jean-Luc Mélenchon. Pour marquer les esprits, je lancerai un référendum sur la sortie du nucléaire. Cela déclenchera un mouvement d’éducation populaire, un débat argumenté. Sur des sujets comme cela, on ne peut pas en rester au péremptoire.

N’est-ce pas une manière de botter en touche sur une question qui divise le Front de gauche ?
Jean-Luc Mélenchon. C’est vrai que c’était une réelle difficulté entre nous. Personne ne voulait rien céder. Même dans nos partis : une minorité dans le Parti de gauche n’est pas d’accord sur l’urgence de la sortie du nucléaire et une minorité au Parti communiste n’est pas favorable au nucléaire, même sécurisé et public. Pour autant, le référendum n’est pas une solution au rabais. Ce sera une grande première, il n’y a jamais eu de débat public sur le nucléaire en France. J’attends beaucoup de cette pédagogie collective. C’est plus prometteur que d’en rester à des certitudes dogmatiques et d’exiger des autres qu’ils renoncent.

Quand éteignez-vous la lumière dans la dernière centrale ?
Jean-Luc Mélenchon. Si le référendum le décide, je me cale sur le scénario Négawatt : 2033 pour l’étape-clé où l’on ferme la dernière centrale et 2050 pour le basculement presque total vers les énergies renouvelables.

Est-ce possible ? Avec quelles sources d’énergie ?
Jean-Luc Mélenchon. Une fois qu’on a tiré le maximum de la sobriété et de l’efficacité, je n’ai pas de doute sur la possibilité d’accéder à des sources d’énergie renouvelable en quantité suffisante. Mais il faut se mettre au travail. C’est un défi très excitant pour les ingénieurs, les techniciens et les jeunes chercheurs. Il y a au moins deux sources immenses qui sont immédiatement exploitables : la géothermie, dont je suis fan, et l’énergie de la mer.

Et l’énergie éolienne ?
Jean-Luc Mélenchon. Je trouve ça laid, les éoliennes. Et la beauté a son importance. Un beau paysage, je crois que cela a une fonction humaine.

Comment allez-vous garantir un prix de l’énergie abordable pour tous ?
Jean-Luc Mélenchon. Le coût de l’énergie doit être acquitté dans des conditions socialement justes et écologiquement responsables. Je suis pour des tarifs progressifs avec gratuité des premiers kilowatts. Je pense qu’il y a des biens auxquels il est d’intérêt général que tout le monde puisse accéder gratuitement. Je ne dis pas « autant que de besoin », car ce serait un encouragement à des consommations démesurées. L’accumulation est souvent une sorte de réflexe conditionné. D’ailleurs je suis pour faire payer plus cher les mésusages.

L’EPR, qu’en faites-vous ?
Jean-Luc Mélenchon. Au Parti de gauche, puisqu’ils veulent sortir du nucléaire, je ne vois pas ce qu’ils feraient de l’EPR. Mais son abandon ne figure pas dans le programme du Front de gauche. Son sort est donc suspendu au référendum.

Faut-il continuer les recherches sur les gaz de schiste ?
Jean-Luc Mélenchon. Non. La méthode de recherche présente les mêmes inconvénients que l’exploitation elle-même : propulsion énorme d’eau, recours à des produits chimiques. Ce qui menace tout autant les nappes phréatiques.

Vous affirmez vouloir « domestiquer la finance ».Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui, la finance a tout le pouvoir. Ses droits sont supérieurs à ceux des peuples. Il suffit de voir le sort de la Grèce. Il y a des gouvernements qui acceptent, sur la base d’une note donnée par une agence de notation, de démanteler des pans entiers de la vie sociale pour satisfaire aux appétits de la finance.
Il faut priver la finance de tous ses outils de domination et assécher la spéculation contre les Etats. Cela signifie séparer les banques de dépôt des banques d’affaires, interdire l’acquisition de titres d’assurance sur une dette sans qu’on possède soi-même de la dette – les fameux CDS (les « Credit default swap » ont notamment été à l’origine de la crise de 2008, ndlr) –, interdire les produits dérivés, taxer les mouvements de la finance… Et puis, surtout, permettre aux Etats de s’endetter directement auprès de la Banque centrale européenne (BCE) au tarif auquel celle-ci prête aux banques privées au lieu d’obliger les Etats à se financer sur le soi-disant « marché ».

Mais toute seule, la France ne peut rien faire…
Jean-Luc Mélenchon. L’état du monde a toujours justifié la résignation. Faire la République était absurde quand tout le monde était en monarchie. Certes, nous avons 26 partenaires dans l’Union européenne, mais ce ne sont pas 26 ennemis. Nous pouvons convaincre ! Et puis, la France n’est pas la cinquième roue du carrosse, c’est la deuxième puissance économique de l’Union et le deuxième peuple le plus nombreux. Nous avons notre mot à dire. Si nous sommes mécontents de la manière dont est géré l’euro, c’est notre devoir de le dire.
Ils ne sont pas non plus obligés de nous suivre…
Commençons par voir. Sinon, nous désobéirons. On n’a pas fait l’Europe pour se faire enchaîner.

Vous êtes prêt à sortir de l’Union européenne ?
Jean-Luc Mélenchon. L’idée d’unification du continent est une bonne chose. Je suis patriote, mais pas nationaliste. J’ai longtemps été fédéraliste. Je ne peux pas dire que j’ai renoncé à l’idée, mais je l’ai mise de côté vu l’usage qui en est fait aujourd’hui. Il ne peut pas y avoir de pouvoir accepté s’il est incarné par un organe qui n’est pas élu par le peuple. La loi supérieure demeure la souveraineté populaire. La Commission européenne n’est pas le cerveau raisonnable de l’Europe.
Cela ne veut pas dire que je sois favorable à la sortie de l’euro. Ce serait une capitulation. Mais on doit parler du statut de la BCE. C’est la seule banque centrale du monde qui a pour unique objectif la stabilité des prix. La banque fédérale américaine a racheté 2 500 milliards de dollars (1 800 milliards d’euros, ndlr) de titres de dette à l’Etat. Et nous, on chipote pour 100 milliards à prêter aux Grecs, soit moins d’1 % du Produit intérieur brut de l’Union.

Faut-il nationaliser les banques ?
Jean-Luc Mélenchon. Je ne suis pas un « pavlovien » de la nationalisation. Je vois bien que la nationalisation est souvent l’argument pour la socialisation des pertes. Il ne saurait être question de mettre sur les épaules des Français la totalité des actifs pourris qui se trouvent aujourd’hui dans ces banques. Par rapport au système bancaire en place, je suis pour une mise sous tutelle et je veux créer, à côté, un pôle public financier qui nous donne la garantie absolue que la fonction bancaire sera remplie. On a besoin de banques dans une économie réelle !

Et les entreprises ?
Jean-Luc Mélenchon. La tâche numéro 1, c’est la définanciarisation. Il n’est pas normal que les financiers et les commerciaux occupent la place des ingénieurs et des productifs. Il n’est pas normal que des entreprises productives fassent plus de bénéfices avec la gestion de leur trésorerie qu’en vendant ce qu’elles produisent. Oui, il faut nationaliser les entreprises dans certains secteurs comme l’énergie, l’eau. Mais nationalisation ne veut pas dire étatisation et centralisation. Ça peut être des coopératives ouvrières, des entreprises dont le capital est détenu par une collectivité locale… Ce que j’appelle de la propriété sociale.

Vous prônez un Smic à 1 700 euros, n’est-ce pas utopique ?
Jean-Luc Mélenchon. Je vous retourne la question : est-ce qu’il n’est pas utopique de croire que des gens peuvent vivre avec 1 000 euros ? Le Smic fait travailler quelqu’un pour 120 euros de plus que le seuil de pauvreté. Le passage du Smic brut à 1 700 euros, c’est 25 % d’augmentation. Exactement ce qui a été fait en 1981. Cela n’a pas tué l’économie française. Pour un patron, ce qui compte, c’est son carnet de commande. Quand vous augmentez un smicard de 200 euros, je vous assure qu’il a tout dépensé à la fin du mois. Son augmentation, c’est de la relance pour le coiffeur, l’épicier, la salle de spectacle !



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