01mai 06

L’affaire Clearsteam peut-elle produire davantage de dégâts sur le système institutionnel que l’enchaînement des déroutes politiques du pouvoir chiraquien depuis 2002 ? Un président qui n’a pas dissout l’assemblée après trois lourdes défaites électorales et qui n’est pas parti après un référendum perdu peut-il être plus atteint par un imbroglio barbouzard ? Il est bien possible que oui. Car, cette fois ci, il entre dans la dynamique de situation un condiment spécial : un règlement de compte entre factions du parti majoritaire. Ce n’est pas rien. Ce parti, sous tous ses avatars de l’UNR à l’UMP, colle à l’Etat comme une deuxième peau depuis le début de la Vème République. Les années du pouvoir de gauche n’ont pas rompu cette osmose. Tout au contraire on peut même penser que la maladie originelle du pouvoir personnel et de l’autoritarisme technocratique a sévèrement contaminé tous ceux qui y ont touché. Reste que le cas d’école est fascinant. C’est une vérification de plus, pour les amateurs de théories politiques, de l’autonomie de la sphère politique dans le fonctionnement général d’une société. Mais au concret il y a avis de très grande secousse. L’Etat d’urgence politique dans lequel est le pays depuis le 21 Avril entre en phase aigue.



Les batiments officiels semblent éternels mais le temps s'en fiche.

Les batiments officiels semblent éternels mais le temps s’en fiche.

Naturellement c’est le rôle de l’opposition de gauche de prendre ses distances avec l’incroyable comédie empoisonnée que mettent en scène les gouvernants. Elle fait. Même au PS. Les déclarations vigoureuses des uns et des autres sonnent plus juste que les silences protecteurs du lendemain du référendum ou les subtils distinguos entre crise sociale et crise politique auxquels s’épuisaient les dirigeants socialistes pendant la crise du CPE. On peut pourtant craindre une agonie prolongée. Car les puissants au pouvoir ne savent que faire. Ils n’ont aucune force sur laquelle s’appuyer. L’énergie de la peur ou de la haine de classe, ces grands classiques des « sursauts » de la droite politique sont éparpillés entre trop de trompettes différentes et concurrentes. Cet état d’impuissance stupéfaite est un grand classique des crises de régime. Ce ne sera donc pas seulement la mise à mort politique d’une équipe politique incroyable de sottise. La plupart des commentateurs s’accordent pour dire que nous vivons les dernières longueurs de la Vème République. Reprendre cette idée à son compte n’est donc plus une exagération gauchiste. Cela seul signale un moment politique singulier.

Quand s’ouvre une crise de régime comme celle qui déroule actuellement ses anneaux, ce qui se trouve mis en cause est toujours plus profond et fondamental que ce que mettent à l’ordre du jour la plupart des secousses sociales même les plus rudes.



Confronté à une crise politique de cette sorte chacun est conduit à s’interroger sur les règles du jeu, les principes qui les gouvernent et ainsi de suite. La dynamique et les enchaînements de réponses dans cet ordre de questionnement ont une très grande amplitude. Elles débouchent inévitablement sur de profondes confrontations de principes. Sur de rudes chocs de vision du monde. C’est pourquoi je ne parle plus pour ma part de VI ème République quoique j’ai commencé à en soutenir la nécessité depuis 1992 et le texte intitulé « La VIème République pour le changement social » présenté au vote des socialistes. Pour mémoire, ce texte avait recueilli 8, 72 % des voix? A l’époque les importants socialistes du moment pensaient que ce n’était pas du tout une question essentielle « pour le Projet » qui était (déjà !) en cours de rédaction. Pour eux il était plus urgent de faire l’aggiornamento de la doctrine socialiste pour pouvoir déclarer le marché « horizon indépassable ». Passons?.Je ne parle plus de VIème République, non parce que je croirais plus qu’il faille en changer. Mais parce que cette fois ci la situation me semble avoir dépassé le point où le seul mécano institutionnel serait en jeu. Il ne s’agit plus seulement de « moderniser » les institutions en ouvrant les portes et les fenêtres de la vieille cathédrale gaulliste. Pour moi il s’agit d’une action plus large. C’est une véritable refondation républicaine de la France qui est mise à l’ordre du jour par le contexte. Le mot refondation est réfléchi. Voyons. Certes, les condiments qui ont sapé à mort la vieille chose constitutionnelle sont certes de nature très diverses. Mais pour finir, ils peuvent être ramenées à la question de savoir sur quelle valeurs de référence se fonde aux yeux du grand nombre la légitimité de l’action publique en France. Ce n’est pas anormal de s’interroger sur ce sujet. La France est ontologiquement Républicaine et « étatique ». Le Nouvel Age du capitalisme et le modèle néo libéral de gouvernement y sont point par point réfractaires. On doit donc remercier Nicolas Sarkozy d’avoir eu l’honnêteté de dire qu’il mettait le thème de la « rupture » à l’ordre du jour. Son projet libéral sécuritaire est en effet l’antithèse de cette identité. Mais les français doivent dire eux-mêmes à présent ce qu’ils veulent. Il ne s’agit pas d’un programme pour une législature. Il s’agit de choisir une forme de société. Cette prise de position du peuple lui-même est le point de passage nécessaire pour que l’action politique gouvernementale puisse se placer à la hauteur enjeux. Je comprends ce que dit Sarkozy car nous aussi, la gauche, pour appliquer un vrai programme de gauche, nous devrons rompre avec les consensus du type de celui qui uni la social démocratie européenne aux libéraux. Nous devrons affronter les corporatismes de l’argent et des fonds de pension, récupérer plusieurs grand leviers de l’action publique aujourd’hui privatisés. C’est un rude choc que nous avons devant nous. Le choc inverse de celui que prévoit la droite. Il faut y être appelé par la démocratie. Le choix non fait de 2002, le débat enfoui doit avoir lieu si l’on veut pouvoir gouverner a la hauteur de ce qui est nécessaire. C’est l’avantage de la démocratie républicaine de rendre possible ces respirations de l’histoire par un débat et des confrontations profondes de point de vue. La refondation républicaine de la France après cette phase de décomposition est une bonne chose et non un sujet d’inquiétude. Le pire pour le pays serait de ne rien faire, de se contenter de voir des équipes se succéder pour occuper la scène pendant que la fameuse « seule politique possible » s’appliquerait depuis la coulisse. En ce sens, en pourrissant la situation, les UMP nous servent sur un plateau le chambardement institutionnel que nos timides responsables n’osaient même pas envisager.



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Aucun commentaire à “Sur un plateau”
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  1. paysan bio dit :

    Jean Luc,

    je ne comprends pas:

    votre analyse me semble bonne :la cause de ce désastre me parait être le manque de communication entre les "élites" et le peuple.

    mais vous vous comportez exactement comme cette sphère politique que vous dénoncez en ne rendant pas votre blog interractif:

    ça vous parait si inutile que ça de répondre aux internautes?

    un maçon construit sa maison moellon après moellon,si il essaye de simplifier en la faisant pan par pan pour gagner du temps,la maison se lézarde.

    je crois qu'on assisterai à une "révolution" si les hommes politiques devenaient accessilbles au simple citoyen.

    merçi d'y penser sérieusement.

    pascal

    si d'autres internautes sont d'accord avec mon idée,merçi aussi de le faire savoir.

  2. Le Politoscope dit :

    Cet article a été référencé sur LePolitoscope.net

  3. de ANDRADE dit :

    je partage une grande partie de l'analyse, mais sans mobilisation du peuple de gauche et au delà, rien ne se fera...VIème République ? je suis pour...sauf que pour la mettre en place il faut des "Etats Généraux" et une Assemblée constituante.

    La grande majorité du PS (je parle de l'appareil sans oublier que la majorité des sympathisants ont voté NON !) ressemble à s'y méprendre à l'appareil de droite...et peu faudrait les pousser pour qu'ils retombent dans les ornières sur lesquelles ils sont penchés !

    Arlequin

  4. cricri dit :

    Une image ariégeoise pour illustrer les luttes du moment! Merci!

    Pourquoi ne pas relire les textes soumit (non, réflexion faite soumis!)

    Voir dissout au lieu de dissous

    : au féminin, c'est dissoute, au masculin, c'est dissous!

    Chiant peut-être mais c'est comme ça!

    S'il y a réglement de compte (s?) entre faction, c'est qu'il y en a plusieurs, non?, donc factions!

    Si vous (collectif) n'avez pas le temps d'écrire correctement, écrivez moins, en tout cas ne donnez pas l'impression d'écrire n'importe quoi, au moins dans la forme ce qui est le moins difficile en principe.

    Sans rancune, d'autant que je suis de tout coeur avec vous!

  5. bruno dit :

    Je ne sais pas si ce sont les institutions qui sont en cours ou une certaine pratique du pouvoir des hommes.

    La déliquescence du pouvoir que l'on observe depuis des annèes dont Chirac est le "meilleur représentant" a commencé avec Mitterrand lorqu'il n'a pas démissioné lors de la première cohabitation ou lorsqu'il a caché sa fille avec les moyens de l'état et la complicité de tous les journalistes-valets.

    Aura-ton quelqu'un de valable en 2007? la est la vrai question.

    En attendant, cette affaire nauséabonde permet de ne pas parler courageusement des vrais problèmes ce qui arrange beaucoup de monde.

  6. ferro dit :

    Comme des milliers de femmes et d?hommes qui se sont engagés sans réserve pour que triomphe le « non » de gauche au TCE, je considère comme une avancée majeure la démarche unitaire forgée pendant la campagne référendaire. Une avancée qui ne peut en aucun cas être remise en cause.

    Comme des milliers de militantes et de militants, je maîtrise de moins en moins une impatience de plus en plus agacée devant le spectacle des stars du « non » de gauche qui parlent beaucoup de démarche unitaire, mais tardent à passer à l?acte.

    Je suis tout à fait d?accord : « /il n?y a pas de synthèse possible entre l?anti-libéralisme et le social libéralisme./ » Et entretenir l?illusion que des sociaux libéraux puissent soudainement « bouger » et devenir des anti-libéraux crédibles, c?est assumer la responsabilité de conduire une fois de plus aux déceptions dont le peuple de gauche a été si souvent victime.

    Nous avons, sans plus attendre, besoin d?un projet politique qui définisse les termes d?une rupture avec le néolibéralisme.

  7. Peckinpache dit :

    À la limite peu importe s?agissant de l?affaire clearstream laissons la justice travailler sereinement.

    Plus largement que pensez-vous du projet de loi Sarkozy II sur l?immigration et l?intégration ?

  8. LE VOYAGEUR DU BLOG dit :

    Sur le blog de Mélanchon y'a plus de conneries que sur celui de DSK (mais il se rattrape) et beaucoup beaucoup moins que chez Ségolène.Ki ki va gagner, le bordel j'menfoutiste où le coup de pied au fesse ?

    Signé : LE VOYAGEUR DU BLOG

  9. bruno dit :

    Pierre tu écris:

    ["Par contre ce serait bien que les ouistes admettent leur(s) manque(s) d'analyse, mais là on peut toujours attendre je crois. "]

    Tu peux préciser STP?

    Bruno de Marseille

  10. BelgoWikipedia dit :

    n'oublions quand même pas qu'Ervigius est un ancien roi qui persécutait les Juifs...

    P.

  11. juju dit :

    je suis ok sur pas mal de tes analyses camarade mais la VI eme République ce n'est pas seulment un changement institutionel mais la volonté de remettre au cooeur la souveraineté populaire! d'ailleurs ce projet est passé a la moulinette de la synthése... que nous payons encore aujourd'hui... quelle erreur!

    Il faut aujourd'hui défendre une 6 eme république sociale, démocrtique et laique! tous ensemble!

  12. FX Breton dit :

    Précision (autocritique); je viens de surfer sur le site de Mme Royal. Mon message sur le Sénat vient d'être affiché. Quand je dis qu'elle n'est pas pire que les autres!

  13. Claire Strime dit :

    Voilà ce que la fameuse affaire aura rapporté: Bayrou parvient à s'accrocher aux basques de l'aile ouiouiste du PS!

    En prévision des futurs coups de torchon électoraux contre le système.

    Virer Sarko-Villepin l'an prochain, pas de problème! Les seul(e)s candidat(e)s susceptibles de gagner sont bien rose bonbon (et promaastrichien cela va de soit); et si par hasard l'heureux élu(e)à l'Elysée ne fait pas à 120 % ce qu'a dicté la Commission de Bruxelles, il y aura un verrou supplémentaire, un bloc parlementaire PS reouiouisé-Verts eurobéats de toujours-UDF toujours fidèle aux encycliques.

    Pas mal le Da Bayrou Code; et qui est le roi de la manipulation?


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