15sept 05

Interview publiée dans La Croix

Que se passe-t-il au PS pour que vous, issu de l’aile gauche du parti, vous vous retrouviez à faire alliance avec Laurent Fabius qui a en longtemps incarné l’aile droite ?

Jean-Luc Mélenchon : Laurent Fabius était en effet classé parmi les sociaux-libéraux. Mais il s’est aperçu que l’Europe actuelle est non pas un rempart mais le cheval de Troie de la mondialisation libérale. Sur ce point, sa lecture du référendum et de la Constitution européenne est fondatrice. Les sociaux-libéraux veulent accompagner le mouvement de mondialisation libérale. Les vrais socialistes, eux, veulent rompre avec elle. Cela n’a rien à voir avec une opposition entre réformistes et révolutionnaires : il y a longtemps que cette question a été réglée au PS.

Comment définiriez-vous alors le clivage au sein du PS ?

Il y a un socialisme d’accompagnement et un socialisme de transformation. Chacun possède sa logique et sa noblesse intellectuelle. Le socialisme d’accompagnement transpose en politique la logique traditionnelle du syndicalisme. Une formule résume leur pensée : « C’est mieux que si c’était pire ». Pour eux, mieux vaut un emploi précaire que pas d’emploi du tout. Dans cette logique vous terminez esclave en remerciant votre maître ! En face, il y a une autre vision qui consiste à transformer la nature même des rapports sociaux. Aujourd’hui, la deuxième gauche sociétale et résignée en économie a complètement submergé au PS la première gauche sociale et partageuse.

C’est la victoire de Rocard sur Mitterrand?

Oui, maintenant c’est nous qui devons nous justifier sans cesse d’être partisans d’un Etat stratège, qui intervient fortement dans l’économie. C’est quelque chose d’anti-naturel. Si ceux qui dirigent aujourd’hui le parti disaient vraiment quelle est leur doctrine, en gros celle de Dominique Strauss-Kahn, ils seraient rejetés par le peuple. C’est trop contraire à l’histoire du PS, à l’histoire des Français et à leur tempérament républicain. Cela convient peut-être à d’autres peuples, pas au notre.

Les socialistes partisans du « non » ne sont pas parvenus à se rassembler. Cela ne rend-il pas leur défaite inéluctable face aux défenseurs du traité qui, eux, sont restés unis autour de François Hollande ?

Les responsables du « non » se sont comportés d’une façon totalement irresponsable. Je n’adhère pas à leur thèse selon laquelle partir séparés permettra de ratisser plus large. C’est du vocabulaire de comice agricole, pas un discours de responsable politique. Le seul regroupement qui s’est fait, c’est celui de la motion dont Laurent Fabius sera le premier signataire et que je signerai aussi. Nous, nous avons fait un effort. Les autres font passer leur courant avant l’intérêt général.

La gauche peut-elle se remodeler en proposant deux candidats du PS à l’élection présidentielle de 2007, un partisan de la rupture avec la mondialisation libérale, et un partisan de son accompagnement ?

Non, car cette ligne de fracture passe à l’intérieur du PS. Or qui va proposer de détruire le plus grand parti de gauche ? Il faut répondre aux défis en responsabilité, par le débat et l’intelligence politique.

Que feriez-vous si en 2007 le candidat du PS était issu du camp du « oui » au référendum ?

Il n’y a pas que pour moi que cela serait effroyable. Une telle situation produirait à coup sûr plus d’abstention chez les électeurs socialistes et un plus grand éparpillement. Cela revient à prendre le risque d’un nouveau 21 avril. On a oublié ce qu’il en coûte de croire qu’il suffit d’être candidat socialiste pour que les gens votent pour vous. Voila ce que je dis à mes camarades du PS : détestez-vous Fabius autant que cela pour risquer un nouveau 21 avril ? Au PS, ils ont pourtant été dans la même majorité que lui depuis le congrès de Rennes, ils ont été dans les mêmes gouvernements que lui.

Ne pensez-vous pas qu’un candidat du PS qui ferait une campagne très à gauche serait ensuite contraint de décréter une pause ou une parenthèse, comme après l’euphorie de 1981 ?

Arrêtons d’être masochistes et de dire que nous ne pourrons pas tout faire, que l’État ne peut rien. Disons plutôt ce que nous pourront faire et pourquoi c’est possible. Personne ne croit que demain on rasera gratis. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un dans les classes populaires qui pense que son salaire va brutalement être multiplié par quatre. Mais j’en connais beaucoup qui disent qu’il n’est pas normal qu’en une nuit on puisse ramasser l’équivalent de 5 000 ans de smic. Ce n’est pas de la jalousie, c’est du bon sens ! Le programme commun du peuple est bien plus simple que ne le croit une gauche « bobocrate » : un logement, que les enfants soient bien éduqués, des vacances, des produits de première nécessités accessibles, pouvoir se soigner. Ces choses simples sont quand même à la portée d’un pays riche comme le nôtre.

RECUEILLI PAR LAURENT DE BOISSIEU ET MATHIEU CASTAGNET



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