L'argument de la semaine

Les 4 mensonges de Monsieur Lenglet sur France 2

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Lors de l'émission Des paroles et des Actes sur France 2 le 12 janvier dernier, François Lenglet, directeur de BFM Business a opposé à Jean-Luc Mélenchon un argumentaire appuyé sur plusieurs graphiques sortis à l'improviste. Dans cette note, la commission économie du Parti de Gauche décrypte les 4 "erreurs" fondamentales de cet argumentaire libéral.

1.    « Les pays qui ont le moins dépensé sont ceux qui s'en sortent le mieux »

  

Monsieur Lenglet présente un premier graphique (ci-dessus) montrant la part de la dépense publique dans le PIB: la France se situe au niveau le plus élevé.  Un second graphique montre les courbes de croissance depuis la crise financière : des trois pays cités, la France apparaît en dernière position. Le message est donc celui-ci : ce n’est pas en augmentant encore davantage les dépenses que vous aurez plus de croissance. Cette présentation est entièrement trompeuse.

Graphique 1 : Dépense publique vs. Croissance ?
(source: FMI)

Axe horizontal : taux de croissance du PIB
Axe vertical : part des dépenses publiques dans le PIB

Graphique 2 : Dépense publique vs. Crise de confiance ?
(sources : FMI et BCE)

Axe horizontal : taux d’intérêt à 10 ans sur la dette
Axe vertical : part des dépenses publiques dans le PIB

Graphique 3 : Part de relance dans le PIB
(source : Brookings institution)

La comparaison faite par Monsieur Lenglet entre part des dépenses publiques dans le PIB et croissance n’a aucun sens. On observe sur le graphique 1 ci-contre qu’aucune corrélation n’existe entre ces deux variables pour les pays de l’UE (source FMI : fiscal monitor 2011). Plus intéressant, le graphique 2 ci-après montre qu’aucune corrélation n’existe non plus entre la part de la dépense publique dans le PIB et les taux d’intérêts sur la dette de long terme. Certains pays, comme le Danemark ou la Finlande, ont une dépense publique en pourcentage du PIB très élevée et des taux d’emprunts très faibles. Inversement, des pays comme le Portugal, la Hongrie ou la Slovénie doivent payer des taux d’intérêt sur 10 ans élevés malgré un faible niveau de dépenses publiques.

Par ailleurs, les deux pays (Allemagne et Etats-Unis) cités en exemple par Monsieur Lenglet au motif que leur croissance aurait été plus élevée depuis la crise sont également ceux qui ont mis en œuvre les plans de relance les plus forts. En effet, à partir des bases de données du FMI, l’institut Brookings a publié dans une note de 2009 le niveau des plans de relance de plusieurs économies. Le plan de relance américain a ainsi représenté près de 6% du PIB contre 3% pour l’Allemagne et moins de 1% pour la France (graphique 3).

La période de crise justifie donc de dépenser davantage par des programmes de relance plutôt que de diminuer les dépenses et de nuire ainsi à la croissance. Or la rigueur a désormais lieu partout en Europe, contre l’avis de beaucoup d’analystes et d’économistes. Voici ce qu’écrit par exemple le chef économiste du FMI Olivier Blanchard dans ses « Quatre leçons sur la crise » en décembre 2011 : « Les investisseurs financiers sont schizophréniques s’agissant des plans de rigueur et de la croissance. Ils réagissent d’abord positivement aux annonces de plans de rigueur, mais négativement ensuite lorsque la rigueur conduit à une plus faible croissance – ce qui est souvent le cas. Les estimations du FMI suggèrent ainsi que la rigueur peut conduire à une hausse plutôt qu’à une baisse des taux d’intérêts sur la dette souveraine. » Les exemples récents de la Lituanie, de l’Espagne, de la Grèce ou encore de l’Irlande ont montré que la rigueur a eu un « effet multiplicateur » à l’envers désastreux pour la croissance et la dette de ces pays.

 

2.  « La part des salaires dans la valeur ajoutée a peu changé depuis 1950 »

Monsieur Lenglet nous montre ensuite que la part des salaires dans la valeur ajoutée des sociétés non financières est restée relativement stable sur longue période. Le graphique présenté permet plutôt de déduire une baisse d'environ 5 points de la valeur ajoutée (VA) entre la période précédent la décennie 80 et aujourd'hui, ce qui n'est pas négligeable.
L'astuce statistique provient du mode de calcul utilisé pour mesurer la VA et des choix tels que celui du prix de référence ou des secteurs d'activité pris en compte :

Monsieur Lenglet s'appuie sur un rapport de l'INSEE qui ne conserve que les sociétés non financières (industrie et services) et ne tient notamment pas compte de la financiarisation de l'économie.
Le rapport de la Commission Européenne sur "L'emploi en Europe" (2007) mesure que la part des revenus du travail dans le PIB a bien chuté de 10 points depuis 1981, c'est-à-dire plus du double qu'aux États-Unis et ce qui correspond environ à 100 Milliards d'euros par an.!

Graphique 1 : Part de la richesse totale détenue par les 1% les plus riches
(source : Top Income Database)

Graphique 2 : dividendes, intérêts, Impôt sur les Sociétés
(source : INSEE)

En outre, la référence unique à la part du travail dans la VA ne permet pas d'analyser avec précision les évolutions au sein de chacune des deux catégories capital / travail. Or, ces évolutions sont très importantes. Ainsi, pour ce qui est du travail, une plus grande part des gains de salaires depuis les années 80 a été captée par les 1% les plus riches :
Le graphique 1 montre que la part de la richesse produite détenue par les 1% les plus riches est passée de 7 à 9% entre 1982 et 2006 (sources : PSE Top Income Database). À l'inverse, les bas salaires ont eux stagné et, sur 25 ans, la hausse du SMIC net réel demeure bien inférieure à celle des gains de productivité moyens (Askenazy, 2009).
S'agissant du capital, le graphique 2 montre l'évolution de la part des dividendes (en bleu), des intérêts (en rouge) et de l'impôt sur les sociétés (en vert) dans la valeur ajoutée des sociétés françaises depuis 1949 (source : INSEE). On observe ainsi que la part des dividendes passe de 3% en 1981 à près de 9% en 2008, c'est-à-dire du simple au triple !
Le constat que devrait faire Monsieur Lenglet est donc le suivant : la part des salaires a effectivement baissé de 10 points depuis 1981, celle des revenus du capital a, elle, triplé, et même dans ce contexte non favorable au travail, les hauts salaires ont captés une plus grande part de la richesse nationale.

 

3.    «  Le patrimoine n'est-il pas déjà trop imposé en France ? »

Monsieur Lenglet montre à l'antenne le graphique suivant tiré des statistiques de l'OCDE :

S'il est vrai que l'OCDE place la France parmi les pays à forte imposition du patrimoine, notre pays n'est pas le plus haut placé. Selon les mêmes statistiques de l'OCDE, en 2010, le Royaume Uni dispose d'un impôt sur le patrimoine de 4.2% du PIB ! Le taux d'imposition réel du capital est en outre rongé par les mesures fiscales telles que les niches fiscales et prélèvement libératoires.
Par ailleurs, cette statistique ne nous dit rien du niveau de ce patrimoine dans la richesse totale et de son accumulation. Il ne permet pas non plus d'en évaluer la répartition selon les niveaux de revenus, ce qui est fondamental.

La question principale n'est donc pas de savoir à combien le capital est taxé mais bien de montrer qu'il est concentré chez peu d'individus et que ses revenus profitent aux plus riches. C'est encore un mensonge par omission. Les récents travaux de l'économiste Thomas Piketty sur le patrimoine en France et son évolution sur longue période nous permettent d'en apprendre un peu plus. Ainsi, le graphique ci-dessous trace l'évolution de la valeur des successions annuelles en % du revenu national :

Valeur des héritages annuels en % du revenu national (source : Piketty, 2010)

Pour reprendre les mots de T. Piketty, en France « jamais depuis la Belle Epoque (1900-1910) les patrimoines ne se sont aussi bien portés. » Le patrimoine représente aujourd’hui près de 6 années de revenu national (9000 milliards d’euros) contre moins de 4 années en 1980. En outre, comme le montre le tableau ci-dessous, le patrimoine est encore très inégalement réparti puisque les 10% les plus riches possèdent 62% du patrimoine total contre seulement 4% pour les 50% les plus pauvres. De quoi justifier la réforme de l’imposition du patrimoine proposée par le Front de Gauche !

Source : http://www.revolution-fiscale.fr

4.    « Le coût du travail n'est-il pas déjà trop élevé en France ? »

Graphique 1 : Coût du travail
(source : France 2)

Graphique 2 : coût du travail, 2007
(source : OCDE)

Axe horizontal : taux d’intérêt à 10 ans sur la dette
Axe vertical : part des dépenses publiques dans le PIB

Graphique 3 : coût du travail horaire en $
(source : BLS)

Graphique 4 : Comparaison salaires France-Allemagne
(source : Eurostat)

A partir des indices de l'OCDE entre 2005 et 2010, Monsieur Lenglet nous montre deux courbes croissantes de coût du travail (base 100 en 2005), la France se situant au dessus de l'Allemagne (Graphique 1). Le Front de Gauche réfute même la notion de "coût du travail" parce que ce n'est pas un "coût" mais simplement un salaire différé ! Monsieur Lenglet s'inscrit dans une analyse libérale cherchant à diminuer les cotisations sociales patronales. C'est bien du salaire différé car elles permettent de financer notamment l'assurance chômage et la sécurité sociale (dont les retraites, les accidents du travail, etc.) ! Par soucis de compréhension, nous utilisons ce terme en sachant le profond sous-entendu libéral qu'il suggère.
En outre, son graphique est mensonger car il montre uniquement une évolution d'indice depuis 2005 et non le niveau réel ! Il faut tenir compte du point de départ : c'est un mensonge par manipulation.

Monsieur Lenglet, comme beaucoup d'autres commentateurs avant lui, se trompe en effet sur cette question. En réalité, la notion de coût du travail est très variable selon les définitions statistiques utilisées. Ce que l'on peut dire, c'est que le coût du travail français est légèrement inférieur à celui de la moyenne des pays de l'OCDE. En prenant les données que publie l'OCDE sur son site internet (coût unitaire du travail, indice OCDE 2007), on observe que le coût du travail français est moindre que celui de pays aussi divers que le Royaume Uni, l'Italie, l'Espagne, la Norvège et même les Etats-Unis (graphique 2).
En ce qui concerne la comparaison plus précise entre la France et l'Allemagne, le constat n'est pas aussi simple à établir. En effet, les estimations varient selon les champs de salariés considérés, les secteurs d'activité et la définition du temps de travail. Le US Bureau of Labor Statistics qui se focalise sur le secteur de l'industrie manufacturière (pertinent s'agissant de la compétitivité), publie en 2010 les statistiques qui apparaissent sur le graphique 3. Ce graphique montre ainsi que le coût du travail horaire dans l'industrie manufacturière est 8% supérieur en Allemagne qu'en France.

L'économiste du travail Philippe Askenazy analyse dans une courte note toutes ces difficultés statistiques qui rendent la comparaison France/Allemagne difficile :
Il conclut cependant dans un récent entretien: " Si l'on se base sur les comptes nationaux, qui agrègent un maximum de critères, notamment la productivité, le coût du travail est plus élevé en Allemagne qu'en France. Et la raison est simple: les salariés allemands sont mieux payés " (entretien 20minutes, 20 janvier 2011). Ce qui est bien montré par le graphique 4 tiré de données d'Eurostat.



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