Publication dans la note du 8 septembre 2011

 

Tribunal de Nanterre – midi

Mardi 6 Septembre. C’est midi. Je suis en route vers le tribunal de Nanterre. Je dois y retrouver les syndicalistes de Fralib, le « thé Eléphant ». On est convenu de se retrouver sur place avec Pierre Laurent et Patrick Le Hyaric, le directeur de la rédaction de l’Humanité. Je fais route avec Laurence Sauvage, Secrétaire nationale du Parti de Gauche chargée des luttes et David Emain. David est professeur. Sa rentrée est en cours. Je lance le sujet. Mauvaise pioche. Très mauvaise ! Son proviseur s’est suicidé la veille de la pré-rentrée ! On se regarde les trois en silence. David nous apprend aussi que c’était un camarade, nouvel adhérent au Parti de Gauche. Personne ne veut en rajouter parmi nous. Mais comment ne pas se poser la question. On devine laquelle. Bien sûr on ne suicide pas pour une seule raison et peut-être l’idée même de « raison » pour un suicide n’a-t-elle pas de sens dans la plupart des cas. J’admets ainsi que le suicide stoïcien est l’exception philosophique dans une règle bien plus complexe d’impasses, de lassitudes et de souffrances. Je m’efforçais de me remémorer le visage du camarade parmi la troupe des têtes dures du Parti dans ce coin de l’Essonne. Je n’y parvenais pas. Aucun des sourires auxquels je pense ne coïncide avec la nouvelle que l’on m’apprend. Du coup on fait le point sur les informations à propos de cette rentrée. La honte.

La rentrée, quel tableau ! Des redoublants mis à la rue parce que les classes sont pleines, des sections de lycées professionnels fermées en nombre faute d’encadrement suffisant, des transports scolaires devenus payant sans prévenir, des enfants expulsés des cantines. En quelques instants les témoignages de mes deux compagnons de voyage me dressaient un tableau terrible de dislocation du système éducatif. Autour de nous dans le RER les oreilles se dressent, les visages se tournent de notre côté. Je vois des gens qui ont envie de dire aussi ce qu’ils savent. On arrive. « Nanterre préfecture ». En haut de l’escalator, on nous attend. Les drapeaux sont là, Aigline les a apportés avec elle. Une grosse brassée de tissus rouges qui donne du tam-tam dans le cœur. Nous vivons, puisque nous luttons. Chemin faisant, voyant nos drapeaux et ma mine peut-être, des gens nous font des saluts et disent des bonjours souriants. En route on croise comme ça un groupe de militants de la CGT de l’agro-alimentaire qui nous mettent dans la bonne direction vers le tribunal. Ah oui, ça y est : du dessus du talus qui surplombe la rue on voit les drapeaux syndicaux et les camarades autour des camionnettes. Le vent porte des notes de musique qui sont jetées à grosses beuglées par ces hauts parleurs si caractéristiques.

En un instant, nous voici tous réunis. On s’embrasse on se congratule, on est heureux de se revoir, on se raconte les aventures de la route. Gérard et Olivier, les porte-parole que je connais pour les avoir découverts lors de ma visite à l’usine me semblent insubmersibles. Les Fralib sont venus en mini bus, neuf par neuf, depuis Marseille. Hélène Le Cacheux, du Bureau national du Parti de Gauche, qui milite dans les Bouches du Rhône a fait la route avec eux. Elle a petite mine. Dix heures de voyage, c’est long. Il est vrai qu’en cours de route un camarade a dû être hospitalisé. Ça use. Mais les salariés de Fralib ne se laissent pas faire. J’étais allé les voir sur place, comme un symbole de résistance ouvrière, pour le lancement de la campagne après mon investiture. Ma précédente note est illustrée avec les photos de cette rencontre. Unilever veut fermer l'usine. Noire arnaque. Le thé serait produit en Pologne pour être ramené en France où se vendent les deux tiers de cette production. On devine pourquoi la firme Unilever, propriétaire de la marque depuis 1972 organise ce déménagement d’une marque née à Marseille en 1892. Un Polonais s’exploite pour moins cher qu’un Marseillais. Après des mois de bras de fer, Unilever licencie tout le monde. La réplique est en place. Les salariés occupent l’usine. Ce matin-là, trois syndicalistes viennent répondre d’une assignation que leur fait la multinationale pour « atteinte à son honneur ». Je me demande quel genre d’honneur Unilever peut réclamer après ce que la firme a fait aux travailleurs de Fralib ? Il s’agit pour elle de faire peur. Et comme sous l’ancien régime, les manants traversent le pays pour aller en justice. Fralib est un haut lieu de résistance ouvrière. Cette lutte ne sortira pas de ma campagne. Je vais la faire avec eux et elles. Ils veulent faire une SCOP. On va voir ce qu’on va voir. Le soir venu, Unilever est débouté pour… vice de forme.


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