Bordeaux TGV 5276 – 10h28

Sous un ciel gris et pluvieux, nous quittons Bordeaux et l'Aquitaine pour le Poitou-Charentes. Aux frontières du pays d'Oc et du pays d'Oil, Angoulême par exemple, qui dépend administrativement de Poitiers est plus proche de Bordeaux. Comme me le faisait remarquer Christian Marre, qui coordonne le déplacement, les jeunes d'Angoulême qui suivent leurs études post-bac, vont à la faculté à Bordeaux plutôt qu'à Poitiers.
Nous serons ce matin dans le Cognaçais pour rencontrer quelques meneurs d'opinions de la région. Puis nous nous rendrons à Soyaux, un quartier populaire d'Angoulême. L'occasion pour Jean-Luc et l'équipe d'aller au contact de la population et de s'entretenir avec les citoyens. S'enquérir des attentes des uns et des autres et mesurer l'espoir que peut faire porter le Front de gauche.
Pour les membres de l'équipe, la nuit a été courte et ce trajet de Bordeaux à Cognac est l'occasion de la finir. Il faut prendre des forces, la journée va être longue. D'autres en profitent pour lire la presse, qui n'a d'ailleurs pas jugé bon d'évoquer le meeting du Front de gauche. Curieux. Même pas une brève…

Angoulême – 11h51

Nous voilà à présent dans le bus pour Cognac. Une quinzaine de camarades nous attendaient sur le quai pour recevoir notre petite délégation. Pour Jean-Luc, pas une minute à perdre : à peine monté dans le bus, le voilà qui regroupe les camarades au fond du bus pour un petit briefing sur les échéances à venir, les enjeux à gauche, les séquences politiques prochaines. Soudain je mesure l'investissement de Jean-Luc pour le combat politique. Plutôt que d'attendre l'arrivée à Cognac, il refait un discours aux accents de ceux d'hier soir. C'est marrant de constater qu'il parle à 20 personnes comme à 3000. Hier soir devant une salle comble ou ce matin dans le bus, la même verve, cette même volonté de porter le verbe haut. Et là non plus pas de notes. Seulement la conviction et le savoir. Il connaît les dossiers. Rien à voir avec ces techniciens ou ces acteurs qui ne font que déclamer des textes écrits au préalable par d'obscurs éminences grises. Ici, on mêle le fond et la forme au service d'un idéal : l'émancipation humaine, la justice sociale, la dignité. Et surtout la prévalence de l'humain et de la vie sur l'économique et la pulsion de mort.

Cognac – 12h37

Nous arrivons à Cognac. Devant la gare nous attendent plus de deux cent personnes pour des prises de paroles publiques. Sous l'oeil des caméra de France télévision, Jean-Luc est accueilli par les élus locaux. Un petit bain de foule improvisé. Après quoi, trois interventions sur le service public, une sur Schneider Electric, et une sur St-Gobain sont programmées. Autour du candidat, les militants se pressent pour une photo, un sourire, une poignée de main. Difficile de répondre à toutes les sollicitations. Mais Jean-Luc tente dans la mesure du possible de satisfaire le plus grand nombre. L'échange va bientôt commencer. C'est Sylvia Mamet, candidate du Front de gauche aux législatives, qui prend la parole en première. "Le Front de gauche est un mouvement de citoyen face à l'oppression actuelle. Nous pensons être l'alternative", proclame-t-elle. Seul le progrès social et l'équité peuvent servir à l'économie. S'ensuit un constat alarmant sur l'hôpital public. Lui aussi brisé par les partenariats publics-privés qui visent à rentabiliser tout ce qui peut l'être et laisser au public ce qui ne l'est pas. Pourvu que ça fasse du fric. Après eux le chaos. Voilà contre quoi nous luttons. Ensuite, un homme vient prendre la parole pour évoquer la modernisation de la SNCF dont on parlait hier à la descente du train à Bordeaux.

Cognac – 13h14

Jean-Luc prend à nouveau la parole en public. Juché sur un banc, encadré de camarades locaux, il est écouté attentivement par la foule. Il en profite pour réitérer quelques formules empruntées au discours d'hier soir. Puis, il revient sur les partenariats public-privé, un "pillage" : "Nous payons pour qu'ils s'en mettent plein les poches". Et l'objectif des capitalistes est clair : faire perdre de vue où est l'ennemi. Dresser sournoisement ou explicitement les gens les uns contre les autres. Puis, il s'est fait ensuite plus offensif : "Il ne suffit pas de dénoncer. Nous on peut. On peut le faire. Nous sommes un grand peuple. Nous avons travaillé pour réussir. Nous n'avons jamais été aussi bien éduqués, nous n'avons jamais eu autant de machine, d'ingénieur, de scientifiques aussi bien formés. Suffit qu'on leur demande de s'y mettre." Une référence à la planification écologique et à la société que nous voulons. Face aux propos déclinistes des puissants, affirmons que nous sommes un peuple fort et plein de ressources. C'est en substance ce qu'a aussi entonné une salariée de Schneider electric, qui "a bien travaillé pendant des années et dont l'entreprise se moque", ne voyant dans ses salariés que de vulgaires pions. Il faut en finir avec cette considération de nous-mêmes. Nous, on peut ! Le message est bien passé. La détermination est là.

Cognac – 13h41

La réunion se termine. Les camarades se rassemblent par poignées pour discuter, sur les échéances locales à venir notamment. Les assemblées citoyennes, les écoutes collectives, les réunions d'appartement. Toutes ces mobilisations citoyennes auxquelles invite le Front de gauche. Jean-Luc pour sa part est allé s'entretenir avec les cadres locaux en déjeunant à l'Oliveraie, un café-bar en face de la gare. Pendant ce temps-là, nous discutons avec un reporter du journal Pote à pote, l'organe de presse, en quelque sorte, de l'association La Maison des potes. Cette association a rédigé plusieurs propositions qu'elle soumettra à chaque parti.

Soyaux – 15h43

Nous sommes arrivés à Soyaux. A la descente du car, nous partons à la rencontre de quelques habitants du quartier. C'est M. Lafleurrière, président de l'Amicale des locataires, arrivé en 1969 au Champs-de-Manoeuvre, qui mène la promenade aux côtés de Jean-Luc. Après avoir marché un peu, nous voilà tous ensemble dans le local de l'Amicale des locataires. M. Lafleurrière, nous expose rapidement le projet de réhabilitation urbaine menée cahin-caha par la municipalité UMP. 2,5 millions d'euros pour la rénovation.1,5 millions au titre de la résidentialisation, c'est-à-dire la rénovation des espaces communs extérieurs. Une fois rénovés, l'entretien de ces espaces est délégué à des sociétés privées de nettoyage qui ont des honoraires beaucoup trop élevés pour les résidents. Ces derniers ont d'ailleurs adressé une pétition au maire de la ville, qui a balayé d'un revers de manche les revendications de ces administrés, malgré les signatures de 1,200 foyers. Même localement ces gens semblent tourner le dos à la démocratie. En voici encore un triste exemple.

Soyaux – 16h09

Installé dans un petit recoin de l'épicerie sociale du quartier, j'écoute la responsable du lieu évoquer l'aide alimentaire aux 120 familles qui en disposent (soit environ 500 personnes). Une équipe d'une dizaine de bénévoles participent chaque semaine à la distribution. Désormais on évoque le bac professionnel. Jean-Luc en connaît quelque chose… Sous les yeux des journalistes et photographes, la discussion s'engage sur les métiers du social, de "durs métiers". "Mais pas seulement : ce sont aussi de bons moments de vie. Des rencontres avec des gens. Du partage", rétorque l'une d'entre elles qui, livre-t-elle, s'est investi dans le social pour redonner un peu de ce dont elle et sa famille avaient pu bénéficier. Ce qui provoque ce commentaire amusé de Jean-Luc : "L'amour c'est contagieux !"

Soyaux – 16h30

C'est désormais avec des enseignants que nous allons nous entretenir. Ils nous reçoivent au Centre Social et Culturel "Gulliver". Une soixantaine de personnes écoutent le leader du Front de gauche énoncer les problèmes de l'enseignement et la complexité du sujet. L'école de classe, l'individualisation des parcours. La LRU. Etc. Toutes ces réformes qui ont plombé l'éducation. Et là qu'apprends-je ? Que Michelin, Schneider et autres délivrent des certificats de compétences. Puiser dans le vivier de la formation républicaine ne semble donc plus intéresser certaines entreprises. Jean-Luc saisit la balle au bond pour répéter que seul l'Etat peut délivrer des diplômes. Sans avoir de réponse toute faite, Jean-Luc avoue qu'il faut réfléchir à la diversification des méthodes pédagogiques. Un peu après, le témoignage poignant d'une femme vient jeter un froid dans la salle. Elle est contractuelle dans l'Education nationale depuis 12 ans. 12 ans de CDD ! Même dans le privé on ne fait pas si bien. Elle poursuit son récit en évoquant ses filles, brillantes juge-t-elle, pour lesquelles elle craint : "Avec mon statut de précaire, je ne sais pas comment je pourrai financer leurs études", s'inquiète-t-elle. Des récits comme celui-là, il en existe aux quatre coins du pays, de l'est à l'ouest, des DOM-TOM à la capitale… Malheureusement, la rencontre n'aura pas suffi pour aborder tous les problèmes. C'est dire si la tâche est d'ampleur…

  

Angoulème – 18h10

Ultime étape de ce périple de 48 heures, nous sommes accueillis à l'Espace Aragon pour une réunion publique. La dernière de la journée. Jean-Luc ne prendra la parole que dans une trentaine de minutes, mais déjà, dans la salle, les habitants du quartier voisin s'installent. J'en profite pour sonder les opinions. Ici, j'entends parler d'une formation sur la dette, organisée à l'université de La Rochelle avec un économiste. Un camarade enjoint un autre à venir s'ajouter à ceux déjà présents. La discussion qui suit est intéressante. L'un des interlocuteurs trouve que "finalement, la dette, c'est pas si compliqué. Si on veut prendre le temps de comprendre, c'est possible." Ah ! Comme ça fait du bien de constater que le désir de savoir et la soif de comprendre se répand peu à peu ! Les gens, (comme on nomme parfois autrui, oubliant que nous sommes les gens des autres…) ne sont pas dupes. Il ne s'agit pas de convoquer une armée de vieux réactionnaires et des caméras, instillant peur et crainte, pour mieux faire perdurer la domination.

Angoulème – 18h35

Dans le fond de la salle, il a fallu rajouter des chaises pour permettre à tous de s'assoir. Quand bien même, certains sont restés debout, faute de places. Sur la scène, plusieurs candidats aux législatives et des cadres locaux attendent l'arrivée de Jean-Luc. Le voilà qui arrive. Plusieurs questions sont posées, très précises, auxquelles Jean-Luc répondra par la suite. Puis, un homme demande pour sa part qu'on ne rentre pas dans des considérations trop techniques pour rester dans des propos généraux. A la tribune, Jean-Luc entame donc sa énième réunion en 48 heures. Et toujours avec la même énergie ! Soudain, un mot fait mouche : "Avez-vous déjà vu un thermomètre qui donne la fièvre ?", s'interroge-t-il, en faisant allusion aux agences de notation, qui depuis juin 2011 sont autorisées à noter sans que l'on le leur demande. Dans un élan tribunicien dont il a le secret, il invite l'assistance à "reprendre le pouvoir. C'est l'occasion ! Si on ne le fait pas en 2012, ce sera beaucoup plus pénible après." Avec cette élection, une fenêtre s'ouvre pour pénétrer la demeure de l'Histoire et y faire entrer à nouveau le peuple français.

Angoulème – 19h35

Voilà. Après avoir répondu à une dernière préoccupation, Jean-Luc quitte le pupitre. Toute la petite équipe se retrouve dans le bus pour rejoindre la gare. Nous allons manger un bout rapidement puis regagner Paris. Prochain déplacement la semaine prochaine, où le Front de gauche ira à Montluçon et Vierzon. Salutations camarades.

Les photographies qui illustrent ce "Carnet de route" sont de Stéphane Burlot
Le récit est de Baptiste Le Maux


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