L'argument de la semaine

L’Education nationale sinistrée

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Alors que se termine une nouvelle année scolaire, les perspectives de l'école publique n'ont jamais été aussi sombres.
 

Chatel accélère les coupes sombres pour 2011-2013

Avec l’objectif fixé de supprimer 34 000 postes de fonctionnaires par an de 2011 à 2013, les suppressions dans l’éducation nationale devraient atteindre 16 000 à 17 000 postes en 2011.
Pour cela, le ministère a envoyé fin mai aux recteurs une note de service leur demandant de dégager des économies de postes dites « schémas d’emplois 2011-2013 », grâce à 12 pistes de travail. Le document invite les recteurs à couper « sans dégrader les performances globales du système ». Cela implique déjà un renoncement à les augmenter. Et l’appellation de performances globales, sous entend que l’on peut dégrader les performances particulières de certains secteurs, certaines filières ou certaines aires géographiques. Parmi les 12 pistes du ministère pour supprimer des postes, certaines sont particulièrement brutales :

  • augmenter le nombre d'élèves par classe en primaire,
  • diminuer la scolarisation des deux ans en maternelle (qui a déjà chuté de 32 % à 18 % depuis 2002),
  • déplacer la formation continue des enseignants notamment pendant les vacances,
  • recourir aux non-titulaires pour les remplacements courts (en supprimant les titulaires remplaçants)
  • supprimer en partie ou totalement les postes d'enseignants dits "Rased" spécialisés contre l'échec scolaire
  • supprimer un millier d'emplois d'intervenants extérieurs en langue vivante et d'assistants étrangers à l’école primaire
  • augmenter la taille des classes en collège
  • fermer ou regrouper les petits établissements
  • "rationaliser" l'offre éducative et la carte des formations en lycées.

Déjà 50 000 postes supprimés dans l’éducation depuis 2007

Rien que depuis l’élection de Sarkozy en 2007, ce sont 50 000 postes qui ont été supprimés (- 8 700 en 2007, – 11 000 en 2008, – 13 500 en 2009, – 16 000 en 2010). Ajoutés aux 20 000 autres postes supprimés entre 2002 et 2007, on arrive à une saignée de 70 000 postes depuis l’arrivée de la droite au pouvoir.
Ces suppressions ont conduit à une restriction de l’offre d’enseignement (suppressions d’options et raccourcissement des durées de formations via le bac pro en 3 ans et des fermetures de lycées professionnels) et à la suppression des dispositifs d’aides aux élèves en difficulté (fin des RASED, suppression de dédoublements …).

Depuis 2002, la droite a fermé 71 lycées professionnels (d’après les derniers chiffres publiés du nombre d’établissements pour l’année 2008-2009), dont 31 rien que depuis l’élection de Sarkozy en 2007. Ces fermetures profitent à l’enseignement privé : 119 classes de lycée pro fermées dans le public en 2008-2009 contre 88 classes ouvertes dans le privé la même année.

L’argument démographique tombe

Pour justifier les suppressions de postes, le gouvernement a prétendu depuis plusieurs années qu’elles étaient la conséquence mécanique du recul du nombre d’élèves. Une logique pourtant très disproportionnée : en 2008 on a supprimé 1 poste pour 2 élèves en moins en lycée, alors que l’on en créait qu’un seul pour 54 élèves en plus en primaire.
En lycée professionnel, l’argument n’a jamais été valide puisque le nombre d’élèves a augmenté depuis 2002.
L’argument s’est définitivement écroulé depuis la rentrée 2009 où le nombre d’élèves augmente à la fois dans le primaire et dans le secondaire alors que les suppressions s’accélèrent.

L’école maternelle en sursis

L’existence d’un véritable service public national de l’école maternelle est une exception française en Europe. Elle a notamment conduit à généraliser la possibilité de scolarisation à 3 ans, puis à développer la scolarisation à 2 ans qui a atteint 32 % en 2002 à la fin du gouvernement Jospin. Celle-ci était prioritairement destinée aux zones en difficultés, la scolarisation précoce étant un facteur décisif pour compenser les inégalités sociales devant l’apprentissage de la langue. Cette politique a été un succès pédagogique tangible : les enfants scolarisés dès 2 ans redoublent deux fois moins leur CP ou leur CE1 que les enfants scolarisés à 4 ans.

Depuis 2002, les restrictions budgétaires appliquées par la droite, combinées au boom démographique ont fait reculer la scolarisation à 2 ans (baisse de 68 000 places, avec un taux qui a chuté de 32 % à 18 %) et fragilisent désormais l’école maternelle dans son ensemble. Le taux global de scolarisation en maternelle (2-5 ans) est passé de 85 % (sommet atteint en 2001 sous Jospin) à 78 % aujourd’hui.

La liquidation de l’accueil à 2 ans est désastreuse pour les zones en grande difficulté sociale comme les banlieues.
L’insuffisance de postes conduit aussi à surcharger toutes les classes de maternelle jusqu’à 30 élèves voire au-delà, ce qui compromet la nature scolaire de ces classes et les transforme en garderie.
C’est d’ailleurs l’évolution soutenue par le gouvernement qui se désengage du service public de l’école maternelle pour promouvoir d’autres modes (notamment privés) d’accueil, comme les jardins d’éveil (8 000 places créées pour les 2/3 ans à la rentrée 2009, dans le cadre d’appels d’offres incluant y compris des structures privées).
Cette politique s’appuie sur la commande de rapports officiels aux conclusions très discutables, voire aux relents carrément réactionnaires contre le travail des mères :

  • rapport Papon-Martin : qui affirme sans le prouver que « scolariser trop tôt c’est renforcer le ghetto », alors que les statistiques disent l’inverse
  • rapport Tabarot qui prétend que « l’emploi maternel pourrait avoir des effets négatifs sur le développement cognitif de l’enfant, notamment lorsque l’enfant n’a pas atteint l’âge de deux ou trois ans » ou encore que « confier un enfant au cours des deux voire quatre ou cinq premières années de sa vie est susceptible d’aggraver les problèmes de comportement »). De telles conclusions  préparent ainsi le retour dans la seule sphère privée de la prise en charge des enfants avant la scolarité obligatoire à 6 ans.

Le gouvernement est ainsi en train d’organiser la disparition d’un maillon essentiel du service public d’éducation à la française.

Les marges de manœuvre pour une autre politique pour l’école

  • Un demi milliard d’euros : le coût annuel du bouclier fiscal (pour verser un cadeau moyen de 33 000 euros au 14 000 foyers les plus riches du pays)
    = rien qu’avec cet argent on pourrait créer 20 000 postes annuels d’enseignants, et ouvrir autant de classes
     
  • 44,5 milliards d’euros : les profits 2008 des anciennes entreprises publiques privatisées (14 entreprises du CAC40)
    = 75 % du budget de l’enseignement scolaire (58 milliards)
     
  • 7 milliards d'euros : c'est la dépense annuelle de l'Etat au profit de l'enseignement privé, rien que dans l'enseignement scolaire (écoles, collèges, lycées, lycées professionnels privés). Si l'on ajoute les dépenses de l'Etat au profit de l'enseignement supérieur privé et les dépenses publiques locales au profit d'établissements privés, on dépasse les 10 milliards d'euros annuels. C'est une marge de manœuvre considérable pour redonner un avenir à l'école publique, en appliquant le principe l'argent public pour l'école publique. Or c'est exactement l'inverse que fait le gouvernement : à mesure qu'il asphyxie et dégrade l'école publique, il conforte les financements de l'école privée, rendant celle-ci encore plus incontournable. Alors qu'elle répond à des intérêts particuliers et non à la mission d'intérêt général qui incombe à l'éducation nationale.


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