29sept 15

De retour de Laguiole

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Je viens de passer cinq jours en Aveyron. À Laguiole. On trouvera ici un lien qui renvoie aux aventures que cette localité de 1200 habitants en pleine reprise de son activité coutelière a vécu autour de l’appropriation privée de la marque «Laguiole». Je m’en étais mêlé tant elle est caractéristique des enjeux de notre temps autour de la question des appellations d’origine contrôlées, des noms de domaine et des brevets.

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En fait si j’ai été magnifiquement reçu pour la visite de la coutellerie «les Forges de Laguiole» je n’étais pas venu pour cela. Je me suis retiré sur le rebord de l’Aubrac pour préparer l’édition de poche de L’Ère du peuple.

J’en dis un mot en rapport avec les épisodes du moment. Puis je parle du bombardement de la Syrie par l’aviation de notre pays sur l’ordre de François Hollande. Et enfin, pour cette fois-ci, un mot sur ce que la nomination du prochain gouverneur de la banque de France veut dire et montre…

L'Ère du peuple, deuxième version

Il est davantage que d’autres de mes livres. Il est déjà paru en septembre 2014. Je l’ai écrit pendu aux attentes des nouvelles de la santé de François Delapierre, quand on ne savait pas encore si son mal était mortel ou pas. J’avais prévu de le relire avec lui. Cela ne s’est pas fait. Il s’est quand même déjà très bien vendu en dépit de ses nombreux défauts et notamment celui de n’être pas toujours très fluide à la lecture ! L’édition de poche est prévue pour février prochain. J’avais décidé de reprendre sérieusement la rédaction pour alléger le style et simplifier mon exposé. Ce livre est en effet pour moi une sorte de manifeste qui présente la révolution citoyenne et l’Écosocialisme à partir des réalités nouvelles du monde. Une terrible contrainte de longueur maximum pesait sur moi si je voulais que le prix reste au niveau modeste que j’ai demandé.

J’ai déjà prolongé le travail de recherche autour des thèmes du livre. On en trouve le résultat sur ce blog dans les « bonus » de « L'Ère du peuple ». Mais je voudrais éviter d’en faire un livre trop « théorique ». Mon projet est de présenter dans un même texte de façon aussi ramassée que possible les liens qui unissent divers aspects majeurs, selon moi, de la réalité nouvelle de notre monde, souvent rendus invisibles peut-être du fait que nous y sommes déjà très immergés. En fait, le livre peut fonctionner comme un outil de prise de conscience pour ceux qui cherchent une grille de lecture globale et documentée sur leur époque. C’est le but en tous cas. Pour rester plus concentré sur cet objectif, j’ai décidé d’élaguer du texte tout ce qui concerne le bilan de François Hollande car il me semble que la cause est entendue et que je perds de la place pour rien.

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Ce petit chapitre me conduit à recommander à qui me lit et mène avec moi le dialogue muet qui est le propre de ce type de lecture, un document que je crois intéressant. En 2012, j’ai participé à une conférence à Buenos Aires à l’invitation du Secrétariat d’État à la culture et de la revue « Débat et Combat » d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe. Le texte de mon intervention a déjà été publié sur ce blog en français et en espagnol. Mais j’avais totalement oublié que la revue m’avait ensuite proposé un entretien croisé avec Ernesto et Chantal. Ce texte a été publié et j’en ai reçu l’information il y a quelques semaines seulement. Mes amis l’ont traduit et je le publie aussi sur ce blog avant de le proposer à la revue qui le voudra si cela lui parait avoir de l’intérêt. Bien sûr pour moi ce n’est pas rien que d’avoir une telle trace d’un échange avec ces deux penseurs et notamment Ernesto Laclau hélas décédé en avril 2014. Mais pour les personnes que le débat sur les stratégies de la nouvelle gauche pour la conquête politique du pouvoir intéresse il y a matière à piocher… Ici il est notamment question du populisme, des hégémonies culturelles et de la « construction du peuple politique », thèmes qui sont aussi les pivots de mon livre L’Ère du peuple. D’ailleurs, la trame de mon exposé à Buenos Aires a fourni la base de ce livre.

Si je traite de tout cela ici, c’est pour dire d’une autre façon combien je déplore qu’en France le débat sur les stratégies et leurs fondements soit aussi lamentablement enfermés dans les frontières de quelques personnalités « bien de chez nous », sans aucune ouverture sur les dialogues qui sont noués depuis des années de part et d’autres de l’Atlantique. Et pour dire mieux : comme il est dommage que les intellectuels « qui inspirent la gauche radicale » en France soient résumés dans les médias aux cas improbables des agitations de Michel Onfray ou Jacques Sapir, qui quels que soient leurs mérites, qu’on les aime ou pas, ne sont pas du tout représentatifs des débats qui ont animé « l’autre gauche » ou « la gauche radicale ». Cette gauche que « Le Monde diplomatique », « Politis », « l’Humanité », Attac, la Fondation Copernic, Bourdieu, Mordillat, Accardo, Généreux, Lordon (et pour moi le lumineux Henri Peña Ruiz) et combien d’autres à qui je demande pardon d’arrêter ma liste là, ont maintenue et fécondée pendant les terribles années du libéralisme triomphant.  

Hollande, le bombardier errant

Sans mandat du Parlement  français ni d'aucune instance internationale, François Hollande a décidé depuis dimanche des bombardements dans l'Ouest de la Syrie. Le concept de « légitime défense » invoqué par Valls pour les justifier est sans aucun fondement juridique sérieux. Mais il créé un précédent extrêmement dangereux dans la région comme dans le reste du monde.

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Ces frappes sont aussi inutiles qu'illégales. Voir les 215 frappes effectuées en Irak. 800 militaires français sont mobilisés pour cela. Aucune amélioration n’est constatée. Pourrait-il y en avoir en l’absence de pouvoir politique stable et légitime depuis la destruction de l'État irakien par les États-uniens ? Le militaire sans le politique ne règle jamais rien. Mais on voit bien quelle escalade est commencée. À peine les frappes françaises avaient-elles commencé que PS et droite évoquaient la nécessité d’envoyer des troupes au sol ! C'est avouer dès le début que les frappes ne permettront pas d'atteindre les objectifs recherchés. D'ailleurs, on peine à identifier un objectif concret dans le puits sans fond que représente « la guerre contre le terrorisme » là où se déroule un conflit entre puissances régionales. La ligne d’action de François Hollande est donc une suite de virevoltes que les faits rattrapent pour ridiculiser notre pays. Après avoir voulu bombarder l’armée syrienne de Bachar el Assad qui affrontait les bandes armées du type Daech, le voici rendu à bombarder Daech tout en reprenant à son compte ses objectifs de renversement du pouvoir en place ! 

Comme l'a noté Hubert Védrine sur France-Inter, « la stratégie occidentale en Syrie est un échec ». Il a raison d'ajouter qu'« on n'aurait jamais dû écarter la Russie d'un éventuel processus ». Et de pointer la responsabilité de la Turquie d'Erdogan et des familles régnantes du Golfe dans le financement de Daech. Les États-Unis pensaient régler les problèmes en armant 5000 supplétifs locaux. C’est d’ores et déjà un échec humiliant. Instables et confus, 25 % de l'équipement de ces « rebelles » est désormais aux mains de groupes alliés avec Daech de l’aveu de l’armée américaine.

Dans cet orient compliqué, seules fonctionnent les idées simples. La France doit suivre son intérêt. L’intérêt de notre pays est que la région retrouve de la stabilité et de la paix. C’est l’essentiel de ce que demandent les populations concernées au bout de deux ans de guerres qui ont détruit la société. En aucun cas Daech, ou un de ses avatars, ne doit gagner et diriger la Syrie. À mon avis, la méthode pour y parvenir est davantage du côté des propositions russes que des foucades nord-américaines ou des règlements de compte des puissances régionales. 

Que cela nous plaise ou pas, il n'y a pas d'issue en Syrie dans la poursuite de la déstabilisation de ce qui reste de l'État. Il faut donc discuter avec le gouvernement syrien. D'ailleurs, ce n'est plus seulement la Russie qui le dit mais désormais aussi l'Allemagne de Merkel. Elle a affirmé mercredi : « il est nécessaire que le président Bachar al-Assad soit impliqué dans des négociations ». Dans le grand jeu mondial, la partie qui se joue en Syrie en recoupe d’autres ailleurs. Notamment en Europe. En se coupant du dialogue avec les Russes, Hollande renforce aussi le poids de l’Allemagne sur le vieux continent. La stratégie de Hollande aggrave chaque jour davantage l’isolement et l’exposition de notre pays sans aucun retour positif discernable.

La Finance est son amie !

Mardi 29 septembre, les commissions des finances du Sénat et de l’Assemblée nationale auditionnent M. François Villeroy de Galhau. François Hollande propose qu’il soit le prochain gouverneur de la Banque de France. Avant que sa nomination soit effective, les commissions parlementaires ont le pouvoir constitutionnel de refuser cette nomination. Elles doivent le faire.

Un collectif de 150 économistes conteste cette nomination. Ils pointent le risque de conflit d’intérêts. Pourquoi ? Parce que François Villeroy de Galhau était jusqu’à il y a peu l’un des principaux dirigeants de la première banque privée française BNP Paribas. Il en a été le directeur-général délégué pendant quatre ans, de fin 2011 au début de cette année. Auparavant, il a été le dirigeant de la filiale de BNP spécialisé dans le crédit à la consommation, Cetelem, puis le responsable de la banque de détail du groupe. Préparant la nomination au poste de gouverneur, le gouvernement lui a proposé en mars une mission opportune pour lui permettre de quitter BNP quelques mois avant d’être nommé.

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Le risque de conflit d’intérêts est évident. En effet, ses fonctions passées sont directement en lien avec le rôle et les pouvoirs du gouverneur de la Banque de France. Il préside l’Autorité de contrôle prudentielle et de résolution, chargé de superviser le respect des règles applicables aux banques et assurances et de proposer les plans de secours en cas de faillite bancaire. Il préside aussi le comité de médiation bancaire chargé d’intervenir en cas de litige entre les banques et leurs clients. La Banque de France traite aussi les situations de surendettement, souvent liées à des crédits à la consommation comme ceux qu’a pu proposer François Villeroy de Galhau du temps où il dirigeait Cetelem.

François Villeroy de Galhau est un parfait représentant de l’oligarchie. Diplômé de polytechnique et de l’ENA, membre de l’inspection des Finances, il a été un temps haut fonctionnaire au ministère des Finances et directeur de cabinet de ministres PS dont Dominique Strauss-Kahn. Puis il est passé dans la finance pendant dix ans avant de se préparer à revenir dans le giron de l’État pour un gros poste.

Il répond évidemment à un autre critère incontournable : il est parfaitement intégré à l’eurocratie puisqu’il a été conseiller financier de la représentation permanente de la France à Bruxelles dans les années 1990. En effet, du fait de l’euro, le gouverneur de la Banque de France participe aux réunions de la Banque centrale européenne (BCE). La Banque de France applique en France les décisions de la BCE. Mais la voix du gouverneur de la Banque de France pèse fortement au sein de la BCE. Pour des raisons historiques mais aussi pour des raisons très matérielles : près de 20% de la masse monétaire en euro dans la zone euro est gérée par des institutions financières et monétaires françaises. On ne fait pas l’euro sans la France ! Bien sûr, la Banque de France comme la BCE et leurs gouverneurs sont censés être « indépendants ». En fait, ils sont « indépendants » du peuple et agissent dans les intérêts de la finance. On a ainsi vu régulièrement le gouverneur sortant de la Banque de France Christian Noyer, ou son homologue allemand, demander plus d’austérité en France ou en Grèce.

Comme on l’a vu à propos de la Grèce cet été, la Banque centrale européenne et l’euro ont été confisqués par Angela Merkel et les partisans de l’ordolibéralisme. La BCE a agi comme une instance politique menant un combat pour étouffer le gouvernement et l’économie grecque. François Hollande n’a pas plus prévu de changer cela que cet été au moment du coup d’état financier contre la Grèce.

Grâce à François Hollande l’oligarchie financière va conserver la mainmise sur la Banque de France. Mais cette fois-ci, sans même avoir à combattre. La proposition de nommer François Villeroy de Galhau est un nouveau symbole de la mainmise de la finance sur la politique monétaire. Pour défendre sa nomination, trois anciens gouverneurs de la Banque de France ont pris la plume. Michel Camdessus, Jean-Claude Trichet et Jacques de Larosière expliquent que le « parcours mixte » entre privé et public n’est pas rare à l’étranger. Et en défense de François Villeroy de Galhau, ils citent… Mario Draghi, actuel gouverneur de la Banque centrale européenne et ancien financier de la banque d’affaires véreuse Goldman Sachs !

En Europe comme en France, la Banque centrale, et avec elle la monnaie, est aujourd’hui privatisée au service de la finance et des capitalistes allemands. Mais elles n’appartiennent ni à Merkel ni à l’oligarchie ! En France avec la 6e République comme en Europe avec notre Plan B, plaçons la banque centrale et la monnaie sous contrôle démocratique ! La Banque de France appartient à la Nation !


53 commentaires à “De retour de Laguiole”
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  1. rivage46 dit :

    @jakimax44
    Allons allons, tout le monde a ses petites faiblesses, y compris le PG. Il peut même lui arriver d'être impliqué dans des privatisations pas vraiment au programme l'Humain d'abord (via une alliance avec EELV et même le PS). S'il suffisait de quitter l'un pour rejoindre l'autre pour régler le problème, ça se saurait. Certes il faut savoir quelquefois "quitter", ce que vous avez fait Jean-Luc Mélenchon en créant le PG, puis le Front de Gauche avec MG Buffet et les autres, et ce fut une belle dynamique, mais que le chemin est long et plein d'embûches.

  2. Jean Destrée dit :

    Bonjour
    Il y a longtemps que la France, comme l'Europe, est aux mains de l'argent. Depuis la création de la CECA après la guerre. Monet, Adenauer et consorts se bien gardés de faire de l'Europe une entité souveraine, libre de ses décisions qu'on voudrait prises pour l'émancipation du monde des travailleurs, toujours brimés par les puissants.

  3. Tomasz dit :

    Je viens d'écouter vos propos de l'agora de France Inter, et j'ai failli m'étrangler en entendant le journaliste disant "Assad, c'est plus de 250.000 morts depuis 3 ans" et vous qui confirmez ?!
    M. Mélenchon, vos équipes internationales ne font pas le boulot. Quelles sont ces sources ? L'OSDH basé à Londres, c'est à dire un groupe à Londres affilié aux Frères Musulmans, financé aussi par la NED ? Sachez que la plupart des victimes sont déjà les troupes nationales qui défendent leur pays face à des mercenaires étrangers en majorité, Libyens, Tchétchènes et fous, plus une faible partie de Syriens pro-salafistes. La majorité de la population soutient Assad contre les égorgeurs, par choix ou par nécessité : 70% d'après l'OTAN. Invraisemblable ? Au moins 50% doivent l'être : quelle femme vivant dans un pays de régime laïc socialiste aimerait vivre dans un pays régi par la charia ?
    Autre erreur "Daesh au milieu des habitants". Non, seulement quelques guérillas urbaines. Les Russes bombardent non les villes, mais la logistique: sites militaires, centres com. avec coopération armée...


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