13juil 15

Grèce : un accord contraint qu’il ne faut pas soutenir

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« Un revolver sur la tempe », selon ses propres termes : Tsipras a signé un « compromis ». Aussitôt, les trompettes des louanges relaient la traditionnelle propagande gouvernementale pour célébrer le rôle de facilitateur de Hollande, la force du « couple franco-allemand » et réciter les refrains, les mantras et les calembredaines habituelles des eurolâtres. La vérité toute crue est, une fois de plus, à des lustres des pseudos analyses de commentateurs qui ne comprennent pas ce qu’ils voient, parlent de textes qu’ils n’ont pas lu et font réagir des « responsables politiques » sans autres informations que celles données par ces plus que douteux intermédiaires.

Sur tous les écrans la même image : madame Merkel face à Alexis Tsipras flanquée de Donald Tusk et de François Hollande. Un spectacle inacceptable. Pas seulement pour un Français à qui il est pénible de se voir de ce côté de la table et de surcroît assis en bout de banc ! Mais surtout pour un Européen. Car cette réunion devenue, faute de critique des commentateurs, une « instance », n’a aucune légitimité. Il y a un Conseil des gouvernements, il y a un Eurogroupe. Il n’y a pas de tandem faisant office d’audit ! La proposition issue de cette réunion n’a donc aucune légitimité. D’ailleurs, les Italiens (troisième économie du continent) ont lourdement protesté. Et le gouvernement finlandais où règne la coalition de la droite et de l’extrême droite a déjà déclaré que cet accord n’était pas le sien ! Voilà qui devrait au moins faire réfléchir les eurolâtres français. Quelle genre d’Europe est-ce là ?

Quant à la discussion dans ce cadre, quelle valeur a-t-elle ? La partie grecque n’y était pas du tout libre. Le pays est en état de blocus financier depuis quinze jours ! L’asphyxie est amplement commencée. Que vaut dans ces conditions une discussion de treize heures sans pause ? Et comment accepter le genre de pression que signifie la présence d’un côté des experts des deux premières économies, appuyés par les assistants du président du Conseil des gouvernements face à un gouvernement seul ? Est-ce ainsi que l’on traite ses partenaires en Europe ? Asphyxie financière du pays et asphyxie physique des négociateurs comme cadre d’échange ? 

Après quoi je me dis mal à l’aise du fait du soutien apporté dans notre gauche ici ou là a cet « accord ». Je veux croire qu’il n’aura pas été lu ou lu trop vite… En effet, le texte signé prévoit par exemple l’abrogation de toutes les lois votées depuis février dernier, la remise en cause du code du travail jusque dans des détails comme le travail du dimanche, la surveillance rétablie de la Troïka sur chaque ministère et le devoir de son approbation préalable avant chaque proposition de loi. Quand au rééchelonnement de la dette, question prioritaire, il est, d’une part, mis au conditionnel et, d’autre part, subordonné à l’approbation préalable de tout ceci par le Parlement Grec ! 

La presse allemande comme le « Spiegel » parle de cet accord comme d’un « catalogue de cruauté ». Le journal « L’Humanité », sous la plume de son directeur Patrick Apel Muller, parle de « la dictature froide de l’Allemagne ». « Angela Merkel, écrit-il, réclame la capitulation sans condition sous peine d’exclusion, accompagnée par quelques gouvernements servile. » La veille, Matéo Renzi, le président du Conseil italien, avait fini par éclater face au gouvernement allemand : « Ça suffit ! ». De toutes part, l’indignation est montée. « Le Monde » rapporte que même les hauts fonctionnaires européenns sont outrés. Il montre Tsipras épuisé et humilié.

Telle est pourtant dorénavant l’Union européenne. Le gouvernement d’Alexis Tsipras a résisté pied à pied comme nul autre ne l’a aujourd’hui fait en Europe. Il doit accepter un armistice dans la guerre qui lui est menée. Notre solidarité lui est due. Mais rien ne doit nous obliger a accepter de participer à la violence qui lui est faite. Si j’étais député, je ne voterais pas cet accord à Paris. Ce serait ma manière de condamner la guerre faite à la Grèce. Ce serait ma manière de condamner ceux qui la mènent et les objectifs qu’ils poursuivent.

En France, nous devons condamner de toutes les façons possibles les sacrifices encore demandés aux Grecs et la violence qui leur est imposée. Comme d’habitude, cela commence par le sang-froid face à la meute médiatique et son rouleau compresseur de fausses évidences. Ne jamais perdre de vue qu’ils mettent en mots la réalité pour la faire correspondre à leurs formats de diffusion et que la vérité n’est pas leur première exigence, même au prix de l’absurdité. Dans cette ambiance, il est impossible de retourner la tendance du commentaire, car elle est dans la folie panurgique. Mais, en allumant des signaux et en faisant circuler des analyses documentées, on empèche la débandade intellectuelle et on donne des points d’appui. Dans quarante-huit heures, les ravis de la crèches vont dessaouler. Toutes sortes de gens intellectuellement exigeants vont lire le texte. La résistance va se reconstituer. Certes, personne ne viendra dire merci à ceux qui auront tenus la première ligne de tranchée. Mais ce qui importe le plus sera acquis : une résistance va exister. 

Les gens de bonne foi qui cherchent à se faire une opinion libre n’y comprennent rien, en vérité, tant l’accumulation des bavardages transforme en « bruit » toute question. Ils sentent bien qu’on veut leur faire penser quelque chose et ils ne veulent pas se laisser faire. Notre devoir est de tenir bon en tenant tous les bouts du problème posé. Il faut soutenir Alexis Tsipras et ne pas s’ajouter à la meute de ceux qui veulent le déchirer et se rendent complice du coup d’état tenté contre lui et les Grecs. Mais il ne faut pas soutenir l’accord pour ne pas cautionner la violence dont il est issu et qu’il prolonge. 

Nous savons que le meilleur atout du peuple grec serait la victoire de Podemos en Espagne et la nôtre en France. Nous y travaillons ! Pour cela, il ne faut pas commettre l’erreur d’approuver aujourd’hui des méthodes appliquées demain aux Grecs, dont on ne supporterait pas qu’elles soient appliquées à la France. En laissant faire le putch contre Chypre, la France a validé une méthode qui a été depuis étendue à la Grèce. Nous fûmes trainés dans la boue pour l’avoir dit et même traité d’antisémites pour cela par Harlem Désir, alors premier secrétaire du PS, absent total de la partie européenne qui vient de se jouer alors même qu’il est le ministre français des affaires européennes ! 

Mobilisés en équipe et avec traducteurs, mes amis et moi nous n’avons pas lâché les devoirs de la froide analyse et de la « solidarité raisonnée » qui est notre règle éthique et politique. Cette discipline, nous la pratiquons depuis la période où nous avons accompagné et soutenu les révolutions citoyennes de l’Amérique latine. En effet, elles posaient déjà à chaque instant le problème de la façon de combiner le nécessaire soutien face à l’ennemi et le droit de ne pas partager une position prise par nos amis sur place. C’est d’ailleurs pour maintenir la possibilité de cette attitude que nous avons refusé à Chavez la construction d’une « cinquième internationale » comme il l’avait proposé, en nous prévenant à juste titre que le refus de sa proposition nous laisserait sans alternative collective. Nous avons mis en veilleuse nos critiques de François Hollande, même si nos encouragements à bien faire ont comme d’habitude été utilisés sans scrupule pour faire croire à notre adhésion.

Cette attitude est celle de la responsabilité devant notre pays et devant nos amis grecs. Sans surprise, une fois de plus, nous avons vu l’exécutif français deux mains en dessous des évènements et revenant de Bruxelles comme d’autres de Munich, le sourire aux lèvres et les fleurs au plastron, acclamé par des meutes hallucinées. Je dois évidemment souligner que je ne fais cette comparaison que pour éclairer une scène. Je ne compare jamais l’Allemagne actuelle à celle des nazis. Je ne l’ai jamais fait. On m’a évidemment reproché une phrase pour mieux dépolitiser toutes les autres. J’ai dit que pour la troisième fois, l’Allemagne était en train de détruire l’Europe. C’était le titre ce matin du quotidien proche de Syriza. Avant cela, c’était déjà une appréciation de Joska Ficher, l’ancien ministre écologiste des affaires étrangères de l’Allemagne du temps de Schröder…


109 commentaires à “Grèce : un accord contraint qu’il ne faut pas soutenir”
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  1. Il faut que Tsipras continue dans sa lancée malgré les menaces de la France et l'Allemagne, ça va être dur pour son pays pendant quelque temps mais ils s'en sortiront, c'est sur !

  2. Etincelle dit :

    Un ami m'a fait une remarque pertinente une fois. Lorsqu'on se retrouve dans une équipe de basket et qu'on souhaite jouer au foot, plutôt que d'essayer de discuter et négocier à la Tsipras pour convaincre les autres ou, à la Mélenchon, simplement désobéir, frapper la balle au pied dans une partie de basket, et de compter sur les rapports de forces, on explique tout simplement aux autres qu'on quitte le groupe et qu'on va jouer sur un autre terrain au foot. Également, je me souviens des études de Sapir concernant la chute de l'euro et de la nette différence entre l’Europe du Sud et l’Europe du Nord. Par conséquent, il me semble clairement que la meilleure solution c'est effectivement une "autre Europe" à côté de l'actuelle. Une UE du nord, et une UE du sud. Ainsi, effectivement, nous pourrions créer une UE du sud plus démocratique et plus adaptée aux économies de chaque pays. Nous contenterions aussi tout le monde, les personnes qui souhaitent sortir de cette organisation tyrannique comme ceux qui ne souhaitent pas abandonner un projet de cette ampleur. Cela arrangerait clairement le mieux les Grecs, les Espagnols, les Italiens et puis bien sûr les Français.

  3. Marwen dit :

    Pour moi, ils ont tué l'Europe en forçant Tsipras à une reddition sans condition, en l'humiliant. Même Der Spiegel est choqué des "atrocités" demandées au peuple grec. Et pourtant les différents gouvernements européens sont tous unanimes sur l’accord conclu cette nuit. Ils auraient sauvé l’Europe selon eux en évitant le Grexit. Leur autosatisfaction suintante me fait penser à ces personnages de La Peste qui effectuent une danse macabre au dessus des corps des pestiférés. Sauf que dans notre cas le mort est l’idée européenne.

  4. Luis SESSAREGO dit :

    En 1973 le Club de Paris avait mis en faillite le gouvernement démocratique de Salvador Allende donnant ainsi le feu vert au coup d'Etat du sinistre Pinochet. Quel va être le Pinochet de l'Europe ?

  5. Claude Ribeyrol dit :

    Il nous faudra toujours se souvenir de ce 13 juillet 2015, de cette meute attachée à la mise à mort politique d'Alexis Tsipras. Ce lynchage vise aussi bien sûr Syriza et toute gauche rebelle. Le contenu de cet ultimatum ne sera jamais implémenté, ni par les Grecs ni par leurs persécuteurs. Il nous faudra aussi nous souvenir des noms de ces lâches, de leur cruauté et de leur bêtise.

  6. luz11 dit :

    Je ne pense pas très sincèrement que le gouvernement grec (et aussi le notre) s'en sortiront en restant dans l'Europe. Vous avez tous assisté à la curée. Voilà l'Europe solidaire. Vous y croyez toujours ? La grèce va continuer à vivre sous perfusion, afin que les requins européens puissent la piller sans vergogne. Voulez vous toujours de cette Europe ?

  7. crobin dit :

    Pour être conséquent, Tsipras doit organiser un référendum sur cet accord. A coup sûr, le peuple grec votera OXI et alors enfin la Grèce se libérera de cet euro mortifère et des ses geôliers eurozonés. A la lecture de l'accord, il donne la nausée. C'est la mise sous tutelle de la Grèce par les instances européennes et l'interdiction de toute politique de gauche. Le conseiller de Varoufakis avait mille fois raison. L'UE et le FMI commettent un crime contre l'humanité contre ce peuple et se comportent comme des colonisateurs. Vive la Grèce libre, indépendante et souveraine !

  8. cristof 53 dit :

    Monsieur Mélenchon,
    Tout d'abord, je partage la totalité de votre constat sur l'état d'esprit qui a régné tout au long des négociations. Mais maintenant la démonstration est faite que zone euro et austérité sont indissociables. M. Tsipras n'a pas voulu franchir son Rubicon. Le mythe de l'absence d'avenir hors zone euro doit tomber. Jacques Sapir, Frédéric Lordon et d'autres le répètent en boucle depuis des mois. Vous même avez du mal à l'entendre et ce n'est pas parce que Marine Le Pen le pense que c'est faux. Le nœud gordien de notre gauche radicale est dans la compréhension de ce fait. Il n'y a pas de de démocratie sans souveraineté et pas de souveraineté sans monnaie nationale. Sans cette logique point de salut.
    Merci pour votre courage.

  9. Osmop dit :

    Bonjour Jean-Luc,
    Encore une fois vous exprimez avec clarté et justesse votre position (et en passant, la mienne) par rapport au texte du diktat imposé par l'Allemagne (et la France) à la Grèce et de fait à toute l'Europe. (UE-zone euro)
    Il est fou de penser que certains se félicitent de ce texte. Il vient de consacrer de manière violente la fin d'un idéal européen, et montrer à tous le niveau de difficulté réel qu'il y aura (aurait) à vouloir créer notre Europe, notre euro, non plus aux mains d'une BCE indépendante sous contrôle des seules banques, mais sous contrôle populaire démocratique. On a vu ce qui se passe (sic).
    La dette grecque va continuer à grimper et continuer à alimenter le système spéculatif mondial au plus grand bénéfice des banques qui continueront à emprunter auprès de la BCE (à 0,05 % info ici) pour prêter à la Grèce (à 15,80% info ici), avec une garantie de paiement de ces dettes par la BCE elle-même. Aaargh.


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