06oct 12

François Delapierre, l'invité du Blog

Où il est question du Venezuela et de deux journalistes

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L'original de ce billet a été publié le 3 octobre 2012 sur le blog de François Delapierre

Sur place mon temps d’écriture était péniblement arraché au sommeil. Difficile de faire plus ! De retour en France, comme je le craignais, le temps me fait à nouveau défaut. A peine rentré du Venezuela, je me suis trouvé happé par un week-end militant des plus actifs. Bureau national du Parti de Gauche le samedi et dimanche bien sûr, cette magnifique marche contre le TSCG dont je dis un mot ici. C’est un immense privilège de pouvoir franchir l’Océan comme je l’ai fait cette semaine en vivant des deux côtés de l’Atlantique des grands moments de la confrontation qui se déroule au niveau mondial entre les peuples en lutte pour leur souveraineté et l’oligarchie financière qui la leur confisque. Mais c’est aussi une frustration de ne pouvoir raconter plus largement notre voyage alors que beaucoup m’ont dit en France leur intérêt pour notre témoignage sur l’expérience bolivarienne.
Je jette donc ici quelques idées en vrac tout en vous invitant si vous habitez en Ile-de-France à participer à la soirée sur le Venezuela organisée dimanche 7 octobre à 18h à l’Usine, 8 rue Chassagnolle, Les Lilas, où je pourrai compléter ces éclairages avec mes camarades de la délégation présente à Caracas.

Partisans de Capriles et de Chavez se font face toute la journée dans le calme de part et d’autre du passage piéton

J’ai déjà dit l’énergie qui se dégage de ce pays et contraste si fort avec la noire ambiance austéritaire qui obscurcit l’avenir de l’Europe. Corinne Morel-Darleux est revenue sur le programme politique néolibéral de l’opposant de Chavez, Capriles, que l’on repeint souvent complaisamment en un social-démocrate ami du progrès social. Alexis Corbière fait justice sur son blog des calomnies habituelles contre le Venezuela accusé d’être une dictature alors que la confrontation démocratique s’y déroule d’une manière libre et intense. D’ailleurs dimanche dernier, Capriles a clos sa campagne par un rassemblement sur une place de Caracas vers laquelle ont convergé huit cortèges partis de différents quartiers de la ville. Pour avoir eu l’expérience des discussions avec la préfecture de police quand nous avons décidé le rassemblement du 18 mars à la Bastille, je mets quiconque au défi d’obtenir une telle autorisation à Paris !

Mais ni mes camarades ni moi n’avons encore abordé une chose qui m’a frappé sur place. C’est l’enjeu concret pour ce pays des relations de coopération qu’il instaure avec d’autres Etats. Pour le Venezuela, les relations internationales ne sont pas un à côté de la politique gouvernementale. Elles sont une condition matérielle de l’indépendance nationale visée par le pouvoir bolivarien. Tandis que l’opposition de droite milite à l’inverse pour le retour du pays dans le giron de l’Empire états-unien si proche. Il ne faut jamais oublier que le gouvernement du Venezuela contrôle une production pétrolière dont le revenu annuel dépasse 100 milliards d’euros. Chaque année passée hors du pouvoir prive les oligarques vénézuéliens de rentrées financières colossales. Et c’est la même chose pour les intérêts pétroliers états-uniens. Cela explique leur nervosité extrême. Plus le magot est gros, plus les méthodes utilisées pour l’accaparer sont brutales. Les pays pétroliers d’Afrique en portent témoignage. La (re)négociation des contrats y passe souvent par des coups d’état et les ingérences des intérêts pétroliers, qui entremêlent Etats et capitaux privés, y est systématique. Les chancelleries européennes à Caracas savent d’ailleurs que l’opposition a prévu par avance de contester le résultat et saisira la possibilité d’un coup de force si elle se présente, comme cela a été fait au Honduras en 2009 puis au Paraguay en 2012 et tenté en Equateur en 2010, en Bolivie en 2008 ou au Venezuela déjà en 2002. Sans que quiconque ou presque en Europe ne s’en indigne ! La politique étrangère du Venezuela s’explique donc en grande partie par la recherche de protections internationales face aux ingérences états-unienne et à la passivité complice de l’Union Européenne vis-à-vis des coups d’état perpétrés dans la région contre les gouvernements issus de la révolution démocratique qui éclata pour la première fois au Venezuela.

Le développement de coopérations internationales est une condition incontournable de presque toutes les politiques publiques dans pays dont l’économie est beaucoup moins solide et diversifiée que la nôtre. On le comprend aisément quand il s’agit de politique économique : le Venezuela ne dispose pas d’une bourgeoisie nationale capable de développer l’industrie du pays. Il manque de capitaux, de travailleurs formés, de filières économiques établies. Il lui faut donc faire avec d’autres, souvent sous la forme d’entreprises mixtes venezuelo-étrangères. De manière plus inattendue c’est aussi le cas dans le domaine des programmes sociaux. Quand le gouvernement décide d’ouvrir massivement des maisons de santé dans les quartiers, il se heurte au fait que le Venezuela ne dispose pas des médecins pour les faire tourner. En attendant d’avoir formé de nouvelles générations de médecins (ce qui prend du temps), le gouvernement a donc initié une coopération avec Cuba. Ce choix ne doit rien au hasard : les médecins cubains ont déjà aidé une centaine de pays depuis les années 1960. Quand le gouvernement bolivarien entreprend de construire des centaines de milliers de logements sociaux (Gran Mision Vivienda Venezuela), il ne peut pas davantage compter sur une industrie nationale de la construction. Il se tourne là encore vers ceux qui maîtrisent le mieux ce domaine : les Chinois, les Iraniens, qui construisent déjà dans tout le Moyen-Orient, les Turcs, très doués pour livrer de grands ensembles « clé en main ». Chavez donne parfois à ces coopérations une signification politique que je ne partage pas (en particulier avec l’Iran) comme il le fait d’ailleurs systématiquement au sujet de toutes les décisions gouvernementales. Mais il s’agit d’abord d’une convergence d’intérêts entre Etats. Le parti de Chavez, le PSUV, n’a pas de liens politiques avec les mollahs iraniens ou avec le Parti communiste chinois ! Ses partenaires sont tous issus de l’autre gauche, principalement latino et européenne. Je dois rappeler ces faits triviaux car dans le Disneyland géopolitique que fabriquent les médias, Poutine, Chavez et Ahmadinejad jouent le rôle des méchants de série Z qui rigolent entre eux en fomentant leurs mauvais coups. Explique-t-on les liens entre l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis par une complicité personnelle entre Obama et le roi Abdallah ou les liens entre la France et le Gabon par le fait qu’Hollande et Bongo seraient les meilleurs amis du monde ? Non leurs relations sont analysées à l’aune de leurs intérêts communs… ou des rapports de force établis entre leurs pays.

C’est pourquoi je suis terriblement attristé que la France ne cherche pas davantage à développer ses relations avec le Venezuela. J’espère qu’en la matière, il y aura du changement avec le nouveau pouvoir. Un gouvernement de gauche devrait travailler à aider la révolution bolivarienne. Ce n’est pas difficile car les besoins sont si criants dans ce pays que le moindre coup de main pèse lourd. L’intérêt de la France le commande aussi. Le Venezuela dispose des plus grandes réserves de pétrole du monde. Tant que l’on ne peut pas s’en passer, cela mérite d’être médité, non ? Dans quelques années seuls quatre pays disposeront encore de réserves exploitables. Si la France s’interdit de travailler avec le Venezuela pour ne pas déplaire aux Etats-Unis, il n’en restera plus que trois. Parmi eux, la Russie dont la seule évocation donne à nouveau le haut-le-cœur au gouvernement états-unien. Viennent enfin deux noires théocraties, l’Arabie Saoudite et l’Iran. Bon appétit ! Si ce n’est pas par sentiment internationaliste et volonté de construire un mode multipolaire, il faut pour cette raison au moins travailler avec les vénézuéliens. Le premier ministre Ayrault va-t-il enfin le comprendre au lieu de dénigrer publiquement le Venezuela qu’il a accusé d’avoir obscurci le jugement de Jean-Luc Mélenchon, ce qui ne se fait jamais dans les relations pacifiques entre pays ? J’ai quelques espoirs. Car je sais que pendant qu’Ayrault vitupère, Total, présent dans la ceinture de l’Orénoque, fait les yeux doux au gouvernement vénézuélien pour participer à l’exploitation de nouveaux puits. Les pétroliers ont l’oreille de ce gouvernement, comme on l’a vu dans la triste affaire des forages off-shore en Guyane. On peut donc penser qu’Ayrault fera entendre prochainement une autre musique ou qu’il chargera un de ses ministres de le faire.
Si le gouvernement de la France se montre incapable de développer ses relations avec le Venezuela, peut-être pouvons-nous le faire de notre côté ? Je parle bien ici de coopération technique et non pas politique même si son fondement est militant. Nous regorgeons de compétences dans les rangs du Front de Gauche qui pourraient être utiles à nos camarades vénézuéliens. Ils ont besoin d’aide pour développer leur système de formation, leurs industries, leur agriculture largement insuffisante pour assurer leur souveraineté alimentaire. Parmi mes lecteurs, je suis sûr qu’il y a des gens qui seraient prêts à apporter leur concours au Venezuela si nous mettions en place un tel programme.

Quelques passages médias me donneront l’occasion de revenir sur cette expérience vénézuélienne. Je serai notamment l’invité de Michel Field et Olivier Duhamel dans l’émission Médiapolis samedi à 10h sur Europe 1. Vu les convictions de mes hôtes, je pense qu’il y aura du débat ! Mais je ne garantis pas l’intérêt des questions qui me seront posées. Le Venezuela est maltraité par la presse française. C’est déjà le cas de manière générale des questions internationales. Elles bénéficient d’espaces très restreints. Combien de journaux gardent une rubrique internationale et quelle place leur accordent-ils ? De fait les journalistes qui « suivent » le Venezuela, au milieu de toute l’Amérique Latine, se comptent sur les doigts d’une main. Il suffit que les Etats-Unis en contrôlent un ou deux pour faire la pluie et le beau temps sur le sujet. Je l’avais déjà constaté quand j’étais au Bureau national du PS. Les questions internationales occupaient une place résiduelle dans nos débats et dans la vie de ce parti. La ligne dominante à ce sujet était de n’avoir d’avis précis sur aucune question. Sauf en ce qui concerne le Venezuela ! L’efficacité du lobbying états-unien était telle que ce sujet pouvait enflammer nos réunions et que le si discret secteur international trouvait le temps de produire régulièrement des communiqués relayant systématiquement les campagnes internationales menées contre Chavez.

Ce sont souvent des journalistes de politique française qui « s’intéressent » au Venezuela car cela fait partie des argumentaires récurrents censés démasquer le vrai visage autoritaire du Front de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon. C’est dans cet esprit que je viens par exemple d’être sollicité par la journaliste du Monde Mme Besse-Desmoulières qui a publié un papier sur notre voyage. Après avoir relaté nos propos elle mentionne le rapport d’une ONG américaine mettant en cause la concentration des pouvoirs au Venezuela et écrit que Corinne Morel-Darleux « avoue » ne pas l’avoir lu comme s’il s’agissait d’un péché capital. Puis elle conclut ainsi : « Au Parti communiste, on refuse de commenter ce voyage. » Cette dernière « information » suggère qu’en réalité il le désapprouve. Mais l’article ne le dit pas non plus. Ca c’est de l’info ! C’est une grande force des médias que de pouvoir faire parler les muets. Ils savent aussi faire taire les bavards. Nous en avons été victimes. A la fin de l’entretien, la journaliste du Monde me demande ce qui ne me convient pas dans l’expérience chaviste. J’apprends par Alexis et Corinne qu’elle leur a posé exactement la même question. Mais pourquoi faire puisqu’elle n’a mentionné aucune de nos réponses. Les a-t-elle jugées inintéressantes ? Moins intéressante que la non réponse d’un responsable du PCF dérangé par téléphone ? Ou que de savoir que Corinne n’a pas lu le rapport de cette ONG ? J’ai pour ma part regretté l’insuffisante planification de la réorientation économique du pays, constatant que Chavez se montrait efficace lorsqu’il s’agissait de mener de front plusieurs chantiers convergents, par exemple ceux qui visent à éradiquer la pauvreté et à assurer la citoyenneté de tous, mais moins lorsqu’il y avait besoin d’enchaîner soigneusement des étapes comme c’est le cas par exemple en matière de développement industriel. La place de la planification dans le socialisme du 21e siècle est une immense question ! Nous avons commencé à la travailler au Parti de Gauche et elle constituait donc un élément important de ce que nous pouvions retirer de notre voyage. Alexis a insisté me dit-il sur l’américanisation du pays et Corinne sur le poids culturel du consumérisme. Ce sont là encore des critiques très importantes car elles soulignent une limite politique cruciale du chavisme. Le gouvernement bolivarien a sorti des millions de personnes de la pauvreté, mais ces nouvelles classes moyennes n’ont souvent pas d’autre horizon que de consommer dans ces immenses centres commerciaux qui pullulent à Caracas et donnent à voir les produits importés des grandes marques occidentales. Beaucoup de membres de ces nouvelles classes moyennes peuvent se dire qu’on en a assez fait pour les pauvres et se tourner vers la droite. Visiblement ces critiques n’intéressaient pas la journaliste. Parce qu’elles ne cadraient pas avec l’argumentaire des partisans de Capriles que relaye systématiquement Le Monde ?

Le contenu de ces critiques peut intéresser le lecteur. Je les signale aussi parce qu’elles ont été proférées « on » pour parler comme Mme Besse Desmoulières dans un article paru quelques jours plus tôt. Celui-ci aussi mérite d’être étudié comme un bel exemple de manipulation. Elle m’avait sollicité pour un papier quand j’étais à Caracas et je lui avais suggéré de voir avec Martine Billard et Eric Coquerel qui se trouvaient eux en France et préparaient la manifestation du 30. Son sujet portait en fait sur « Mélenchon, combien de divisions », évident contre-feu à la veille du 30. Je me demande bien quelle information elle voulait avoir de moi puisque je lis dans son papier au sujet d’Eric, Alexis et moi présentés comme les rares fidèles de Mélenchon que « dans leurs bouches, les formules sont les mêmes que celles du député européen, et aucun ne se risquerait à le critiquer, même en «off» ». Je suggère donc à Mme Besse Desmoulière d’appeler le proche entourage d’Hollande et de lui demander ce qui ne va pas dans la présidence du pays. Elle peut aussi demander aux proches de Fillon et Copé les défauts de leurs candidats ! Si elle n’obtient pas satisfaction, elle pourra recopier son papier en changeant les noms de ceux qui « ne se risquent » pas à émettre des critiques, de peur sans doute de l’autoritarisme tout chaviste de leur « patron ». Dans le cas surprenant où elle obtiendrait la prise de distance demandée, croyez-vous un instant qu’elle n’en ferait pas un papier pour « révéler » les interrogations, doutes ou troubles ayant saisi les états-majors de ceux qui seraient immédiatement décrits comme des chefs en grande difficulté ? Dans l’univers médiatique cela ne se passe pas autrement. Certains des lecteurs du Monde peuvent l’ignorer mais pas une journaliste politique. Elle « l’avoue » d’ailleurs en complétant sa phrase par le fait que nous ne critiquerions pas Jean-Luc « même en off ». Là c’est peut-être moins habituel. Nous n’avons pas besoin du off pour nous épancher. Mais quelle hypocrisie à nouveau ! Car le propre du off est qu’on n’en parle pas dans le journal, non ? Imaginons qu’elle écrive que nous ne critiquons jamais Jean-Luc « sauf en off ». Dans ce cas ce ne serait plus du off bien sûr. En tout cas je retiens que lorsque nous critiquons Chavez en « on » cela est occulté par Le Monde qui ne souffre décidément aucune critique de gauche contre le leader de la révolution vénézuélienne. Pour en finir avec ce sujet, je tiens à vous informer comme vous devez l’être dans un pays  libre que je ne connais aucun journaliste du Monde qui se « risquerait » à critiquer son journal. Sauf un, en off. Mais ce n’est pas Mme Besse-Desmoulières.

Puisque cette note se clôt sur des histoires de presse, je veux vous raconter comment je me suis fait piéger cette semaine par un nouveau site lancé par Robert Ménard et Dominique Jamet. J’ai été contacté dimanche jour de manif pour parler du TSCG, de la part de Robert Ménard qui me dit-on ne peut me parler car il est à l’étranger. J’ai participé plusieurs fois à la matinale de Robert Ménard à Sud Radio. Bien sûr je n’ignore pas sa fascination pour Madame Le Pen et je l’ai d’ailleurs mentionnée à son antenne ce qui m’a valu un doigt d’honneur de sa part, moment de franchise que les journalistes de télévision ne peuvent se permettre. Mais si je devais refuser de répondre à tous les journalistes qui partagent ce travers cela ferait plus de monde que vous ne le croyez (beaucoup m’ont « avoué » ce penchant, en « off » bien sûr). Respectueux de la presse dont M.Ménard a été longtemps une figure emblématique lorsqu’il était président de l’ONG américaine Reporters sans Frontières, dont j’avoue avoir lu des papiers ineptes contre Chavez, je réponds donc aux questions de sa journaliste. Voilà qu’hier on me signale que mon intervieweuse est une militante connue de l’extrême-droite identitaire. Je ne peux croire que cela soit un hasard. D’autant que sur le site de Ménard apparaît surtout la volonté de donner la parole à des figures d’extrême-droite au milieu desquels je me trouve placé malgré moi. Je sais que par ailleurs Ménard a annoncé vouloir conduire une liste aux municipales à Béziers allant du FN à des « personnes du Front de Gauche ». Pure invention auquel il essaie peut-être de donner un semblant de vraisemblance avec de tels procédés. Bien sûr me concernant je n’ai rien à faire en commun avec l’extrême-droite et je ne veux pas partager de tribunes avec eux. C’est le droit de M.Ménard de faire l’inverse. Nous ne sommes pas du même bord politique. Mais il n’a pas à m’impliquer journalistiquement dans ses causes. J’ai eu tort de lui faire confiance parce qu’il était journaliste.



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