11mai 10

Tribune dans Le Monde à l'occasion du débat sur les retraites

Un partage ruineux entre capital et travail

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En réplique à une tribune du banquier Jean Peyrelevade publiée dans le Monde du 28 avril, voici la tribune de Jean-Luc Mélenchon publiée dans le Monde du 11 mai 2010.

Déficit des retraites ou crise de l’euro : tout revient  à la question de la prédation croissante que la finance opère au détriment du travail sur la richesse produite. L’appauvrissement des Etats, comme des particuliers, et les dettes qui en résultent n’ont pas d’autre origine ! C’est cette réalité que Jean Peyrelevade couvre d’opprobre : «Démagogie», «mensonge», «réalité travestie» (Le Monde du 28 avril).
Le constat est pourtant établi avant même le déclenchement de la crise. Dans un entretien au Financial Times (septembre 2007), Alan Greenspan, l’ex-président Réserve fédérale américaine,  observait lui aussi cette « caractéristique très étrange » du capitalisme contemporain : « La part des salaires dans le revenu national aux Etats-Unis et dans d’autres pays développés atteint un niveau exceptionnellement bas selon les normes historiques.»De son côté, la Banque des règlements internationaux  qui regroupe les banquiers centraux de la planète notait en juillet 2007 : « La part des profits est inhabituellement élevée  et la part des salaires inhabituellement basse. L’amplitude de cette évolution et l’éventail des pays concernés n’ont pas de précédent dans les 45 dernières années.» La Commission européenne, elle, a calculé, dans un rapport de 2007, que la part des salaires dans l’ensemble de l’économie française est passée de 66,5 % en 1982 à 57,2 % en 2006, soit une baisse de 9,3 points de la richesse totale du pays. Alors ? Tous menteurs et démagogues ?
Ce partage injuste de la richesse  est stable depuis vingt ans, comme le note M. Peyrelevade. C’est précisément parce que la révolution néolibérale a permis pendant tout ce temps au capital d’accroître sa ponction sur les salariés à mesure qu’ils produisaient davantage et moins cher ! Car  le décrochage  est bien plus fort : en 1982, salariés et chômeurs représentaient 84% de la population active et  se partageaient 66,5% de la richesse, selon les chiffres de la Commission européenne ;  ils constituent aujourd’hui 92% des actifs mais ne perçoivent plus que 57% des richesses. Non seulement la part des travailleurs s’est réduite, mais elle est divisée entre davantage de salariés!
Cet appauvrissement du travail est odieux car depuis 1982 la richesse créée par actif a augmenté de 30%. Ces fabuleux gains de productivité réalisés par les travailleurs ont été largement accaparés par le capital: dans les années 1980,  2 points de PIB par an étaient redistribués aux salariés ; depuis les années 1990, le ratio est tombé à 0,7 point de PIB par an !
Enfin, M. Peyrelevade  nous accuse de nous référer à la meilleure année de partage pour les travailleurs, en  1982. Hélas pour lui, notre constat est toujours vérifié quand on fait des moyennes par décennie : la part  du travail est passée de 74,08 % pour 1974-1984 à 67,54 % pour 1997-2007. Soit 6,5 points de richesse perdus par les salariés. Selon que l’on calcule par rapport au pic de 1982 ou en moyenne par décennie, la part perdue par le travail représente aujourd’hui entre 80 et 170 milliards d’euros par an. Cela donne une idée des marges de manœuvres qu’un gouvernement de Front de gauche pourrait mobiliser !

Retour de balancier
M. Peyrelevade objecte encore que le retour de balancier au profit du travail réduirait la part du capital au point de compromettre tout investissement des entreprises. Voyons les faits.  En 1990, 75 % de la  part du capital étaient destinés aux investissements contre à peine 57 % en 2007. La part captée par les actionnaires est passée de 22 % à 36 %. C’est donc bien la domination des actionnaires et leur avidité qui brise l’investissement.
M. Peyrelevade nous accuse de mentir. Un expert parle ! Ancien président du Crédit lyonnais, il fut condamné dans l’affaire Executive Life par la justice américaine pour « fausses déclarations », qu’il reconnut ; il en coûta plus de 700 millions de dollars à la France ! Aujourd’hui, il signe pudiquement sa tribune comme économiste ; il est pourtant dirigeant de la banque d’affaires Leonardo et  vice-président du Modem chargé des questions économiques. Malgré le drame qui s’avance en Europe, M. Peyrelevade  rabâche les formules qui nous y ont conduits.


6 commentaires à “Un partage ruineux entre capital et travail”
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  1. LutoPick dit :

    MERCI Monsieur Mélenchon pour votre énorme investissement et votre très grande vigilance. Vivement que le Front de Gauche prenne les rênes !

  2. Hadrien dit :

    On est loin de la prose de Peyrelevade et de la thèse conservatrice qu’il nous serinait dans son livre de 2008 "Sarkozy: l'erreur historique" (entendez: pas assez libéral !) : produisez en vous serrant la ceinture car seul l’excédent des entreprises… et des banques importe pour la croissance !
    Les ménages seraient ainsi de dangereuses cigales avec leurs dispendieux avantages sociaux, alors que les vertueuses fourmis que sont nos banquiers et grands patrons rentrent tous les soirs en se demandant gravement si ces ménages dévolus à produire,dans un contexte mondialisé, servent encore à quelque chose au sein de nos entreprises et de nos services publics:
    “La promesse d’amélioration du pouvoir d’achat faite pendant la campagne électorale … ne peut être tenue… elle n’est pas près de l’être. Dans la répartition de la richesse nationale, les ménages ont reçu leur dû et même un peu mieux.” (p.35)
    “L’objectif central est de déplacer de quelques points, trois à quatre, en faveur des entreprises et donc au détriment provisoire des ménages, le partage de la valeur ajoutée…La remise en ordre de l’appareil productif passe nécessairement par un prélèvement sur le pouvoir d’achat des ménages (à nouveau, qui d’autre pourrait payer une telle opération?)… Année aprés année, avec une sorte de tranquillité opininiâtre, il convient de modifier à la marge la répartition de la valeur ajoutée, du PIB, de façon à en laisser une part un peu plus fournie aux entreprises, un peu moins grande aux ménages.” (p.169-171)
    “Si l’on entend vraiment déplacer des entreprises aux ménages un curseur de charges mal réglé, la hausse des taux de certains prélèvements est incontournable.” (p.173)
    “On peut ainsi réver à une sorte d’utopie fiscale. Supposons que l’on réduise à rien l’impôt sur les sociétés qui est actuellement du tiers du bénéfice imposable. Les marges brute et nette de l’entreprise sont augmentées du montant de l’impôt supprimé.” (p.179-180)
    “Cette utopie permettrait de résoudre au passage l’énigme déjà rencontrée de l’arbitrage fiscal entre le travail et le capital. L’entreprise…, il s’agit, en tout état de cause d’une charge pour elle. Exonérons-la de toute taxation à ce titre et les revenus du capital, quelle qu’en soit la forme (loyers, intérêts, dividendes ou plus-values), devraient être soumis à des prélèvements fiscaux et sociaux identiques. Vaut-il mieux imposer les revenus du capital ou ceux du travail? L’arbitrage fiscal, à partir du moment où l’on n’y mêle plus les entreprises, exercé au sein de la catégorie des seuls ménages, prend alors tout son sens, économique et politique.” (p.181-182)

    Doit-on rappeler à Jean Peyrelevade que cette bienheureuse utopie qu’il envisage sans doute comme l’horizon indépassable du patron et du banquier fut expérimentée une seule fois: dans le Chili de...

  3. Hadrien dit :

    (Suite)
    ... le Chili de Pinochet, sous les conseils avisés des Chicago boys de l’époque. On sait ce qu’il en advint !
    Mais Jean Peyrelevade continue de se dire "social-démocrate"... et en donne l'exemple édifiant sur son blog http://peyrelevade.blog.lemonde.fr/

  4. jc dit :

    Bonjour,

    Votre vision me paraît juste. Vous gagneriez en acuité à lire le blog du professeur Lordon qui coupe l'herbe sous le pied aux libéraux en prenant du recul sur les chiffres et présentant le transfert du du travail au capital de ces dernières décennies n'est pas tout et qu'il convient de savoir quelle parité est juste (il précise d'ailleurs que le niveau de 82 est trop favorable au travail et à terme défavorable à tous, comme tous systèmes déséquilibrés)
    http://blog.mondediplo.net/2009-02-25-Le-paradoxe-de-la-part-salariale

    Pareil pour le pôle étatique bancaire : London lui préfère un pôle socialisé du crédit qui ne manque pas de qualités.
    http://blog.mondediplo.net/2009-01-05-Pour-un-systeme-socialise-du-credit

  5. pour info ce que j'ai écris sur mon blog politique monpostdemocrate.eu
    -" à la decouverte de jean luc melenchon". à propos du buzz petite cervelle
    -" accroche toi citoyen " a propos des chiffres dans le debat éconmique et votre polémique avec Peyrelevade


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