12sept 08

Tribune de Jean-Luc Mélenchon publiée dans Le Monde le 12 septembre 2008

La visite de Benoît XVI nous faire vivre un mélange des genres entre religion et politique très significatif. La débauche ostentatoire des moyens officiels mis à disposition, l’occupation agressive de l’espace public, le harcèlement médiatique télévisuel, tout fait sens. Ici le moyen c’est le but. Le pape et le président ont en commun une stratégie de reconfessionalisation institutionnelle de la société française. Les deux hommes s’inscrivent dans la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington, bréviaire de la diplomatie étatsunienne. Ils tirent de la religion la légitimité à agir pour la domination d’un prétendu « Occident ». Dans cette perspective la République laïque fait obstacle. Un changement de cap est nécessaire. Le discours de Latran de Nicolas Sarkozy l’a proclamé sous le nom d’une « laïcité positive ». Cela devrait se traduire par une pseudo « modernisation » de la loi de 1905. Des lors, juste avant la visite du pape, son premier ministre, le cardinal Bertone, s’est réjoui: «certains éléments font espérer une évolution de cette laïcité rigide qui fit de la France de la 3e République un modèle de comportements antireligieux ». Qu’est-ce que cette « laïcité positive » ? Une reformulation par Benoît XVI de la revendication de l’église romaine à être reconnue comme acteur officiel de l’espace public ! Voici le postulat du cardinal Ratzinger : «  La foi n’est pas une chose purement privée et subjective. Elle est une grande force spirituelle qui doit toucher et illuminer la vie publique. » Nicolas Sarkozy l’a officialisé: « j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c'est-à-dire une laïcité (…) qui ne considère pas les religions sont un danger mais plutôt un atout ». C’est ce que demandait le pape : « Un Etat sainement laïc devra logiquement reconnaître un espace dans sa législation à cette dimension fondamentale de l’esprit humain. Il s’agit en réalité d’une “laïcité positive” qui garantisse à tout citoyen le droit de vivre sa foi religieuse avec une liberté authentique y compris dans le domaine public ». Le domaine public, voila l’enjeu pour le pape : « L’hostilité à toute forme d’importance politique et culturelle accordée à la religion, et à la présence, en particulier, de tout symbole religieux dans les institutions publiques, n’est certainement pas une expression de la laïcité, mais de sa dégénérescence en laïcisme.» Ratzinger avait prévenu : « Une telle séparation, que je qualifierais de "profanité" absolue, serait certainement un danger pour la physionomie spirituelle, morale et humaine de l’Europe. » Car pour le pape, «l’Europe est un continent culturel et non pas géographique. C’est sa culture qui lui donne une identité commune. Les racines qui ont formé et permis la formation de ce continent sont celles du christianisme. » La vision est plus large encore. C’est l’occident qui est en cause. « L’Occident est menacé depuis longtemps par le rejet des questions fondamentales de la raison et ne peut en cela que courir un grand danger » déclare le pape. Nicolas Sarkozy partage ce credo. Le « premier risque » dans le monde, a-t-il déclaré trois mois après son élection, c’est celui d’une « confrontation entre l’Islam et l’occident ». Foin de la réalité étatique de l’ordre international, et tant pis pour cinq millions de musulmans français. Bien sûr, cette thèse ne proclame une identité que pour mieux désigner des adversaires. L’Islam d’abord. Cette lecture d’un occident menacé par l’Islam, Benoît XVI l’a aussi exprimée de manière particulièrement provocante dans son discours de Ratisbonne en 2006. Au prétexte d’une réflexion sur la foi et la raison, le Pape utilisait un dialogue entre l’empereur byzantin Manuel II Paléologue et un savant perse sur « le christianisme et l’Islam, et leur vérité respective ». Il citait ainsi  l’empereur chrétien : « Montre-moi donc ce que Mohammed a apporté de neuf, et alors tu ne trouveras sans doute rien que de mauvais et d’inhumain, par exemple le fait qu’il a prescrit que la foi qu’il prêchait, il fallait la répandre par le glaive. » Cette référence très douteuse prononcée au lendemain de l’anniversaire de l’attentat du 11 septembre 2001 est un programme politique. Et une mystification. Elle fait en effet l’impasse sur les siècles de violence impulsée par l’Eglise, des croisades à l’Inquisition en passant par les dragonnades, la chouannerie et la résistance à la loi de 1905. Face au tollé soulevé par ce discours, Benoît XVI en avait minimisé la portée prétextant d’une réflexion anodine. Pourtant son secrétaire particulier, l’abbé Gaenswein, en confirmait un an plus tard la portée très politique : « Je tiens le discours de Ratisbonne, tel qu’il a été prononcé, comme prophétique. On ne peut pas éluder les tentatives d’islamisation de l’occident. Et le danger pour l’identité de l’Europe, qui y est lié, ne doit pas être ignoré. » Tel est l’arrière plan de la croisade du pape dans la France de Sarkozy. Le pape est bien un chef politique autant qu’un chef religieux. Toute l’Amérique latine progressiste en fait l’expérience amère dans sa lutte pour le droit au divorce ou à l’avortement et par la mise au ban de la théologie de la libération. L’Italie, l’Espagne et la Pologne le paient d’intrusions permanentes dans leurs élections. La France ne sera pas épargnée si l’hébétude du spectacle clérical éteint la vigilance laïque. La laïcité soit disant positive est une tromperie. Elle rétablirait les privilèges de préconisation publique et de pressions privées de l’église. C’est d’une laïcité étendue à de nouveaux domaines de l’espace public (hôpitaux, services publics etc.) dont la France a besoin. Plus que jamais : l’Etat chez lui, l’Eglise chez elle !



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