16déc 05

Ici, Robert Badinter exprime le point de vue socialiste à la tribune du Sénat.
Ici, Robert Badinter exprime le point de vue socialiste à la tribune du Sénat.

Le Sénat discutait mercredi 14 et jeudi 15 décembre la loi "anti-terroriste" présentée par Nicolas Sarkozy. Cette loi est la septième sur le sujet de la lutte anti terroriste que le parlement aura voté en dix ans. L'examen, même superficiel, du contenu du texte montre aux moins avertis qu'il s'agit une fois de plus d'une loi d'aubaine sécuritaire. Après mure réflexion et ample débat interne, le groupe socialiste du Sénat a décidé de voter contre le texte. Seul Jean Marie Bokel s'est abstenu en séance. Pour ma part j'ai été très impressionné par la résistance morale qu'a opposé la génération des présents militants d'avant 1981 aux concepts qui entourent ce texte. En fin de débat j'ai donné mon explication de vote.

Explication de vote en séance

Monsieur le Président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, les sénateurs socialistes ont pris la décision de voter contre ce projet de loi. Ils auraient pu faire autrement. Cette décision est le fruit d'une longue réflexion. Je veux dire très solennellement que si l'un quelconque d'entre nous ou si l'un quelconque d'entre vous, lors des débats, avait pu faire la démonstration que ce texte pouvait prémunir notre Patrie d'un seul attentat, nous l'aurions voté. Sachez donc que c'est pleinement conscients de l'inanité de son contenu que nous avons pris notre décision. Vous n'êtes pas parvenu à nous convaincre du contraire.

Louis Mermaz et Jean-Pierre Sueur ont été les principaux orateurs du groupe socialiste dans cette bataille. La droite a fait feu de tous les arguments y compris du souvenir de l'URSS...
Louis Mermaz et Jean-Pierre Sueur ont été les principaux orateurs du groupe socialiste dans cette bataille. La droite a fait feu de tous les arguments y compris du souvenir de l'URSS…

Une mesure parmi tant d'autres est particulièrement emblématique du caractère de gesticulation et d'affichage de ce texte : celle qui permet dorénavant de déchoir de la nationalité française quelqu'un qui l'aurait acquise depuis quinze ans, contre dix ans auparavant. Cette mesure n'aura aucun effet concret et technique. Au fond, elle ne fait que renforcer la suspicion généralisée qui pèse sur tout individu qui n'aurait pas eu le bon goût de devenir français, à temps et au bon moment. Peu importe d'ailleurs les raisons pour lesquelles il ne l'était pas. Ce qui importe, c'est que cette disposition ne stigmatise que ceux qui sont naturalisés. On cherche en vain l'intérêt d'une telle mesure contre le terrorisme. En l'espèce, Monsieur le Ministre nous a demandé de souffrir qu'il veuille mettre en place cette disposition avec un champ d'application étendu, afin de mieux pouvoir éloigner ensuite les terroristes que nous capturerions. Et bien, pour ma part, je ne souhaite pas qu'on éloigne ceux qui nous auraient menti et qui auraient pris la nationalité française pour mieux nuire à leurs semblables. Au contraire, je souhaite que nous les tenions à notre disposition tout le temps nécessaire pour leur faire payer le prix de ce qu'ils ont fait aux autre et les rendre inoffensifs. Ce projet de loi contient d'autres exemples tout aussi parlants. Votre attitude s'inscrit dans l'air du temps. Il faut bien admettre que la France n'est pas seule concernée. Certes le terrorisme est un phénomène bien réel. Mais nos démocraties, de façon surprenante, comme par effet d'aubaine, profitent de la menace terroriste pour mettre en place des mesures contrevenant au régime de libertés publiques qu'elles ont pendant tant d'années rivalisé à mettre en place et dont elles estimaient qu'il reflétait leur identité profonde, par opposition à tout autre système. Elles rivalisent à présent pour adopter des dispositions de plus en plus privatives de libertés individuelles. Ce faisant, elles créent une ambiance qui permet en toutes circonstances de substituer à la grande question sociale qui agite le monde les fantasmes de la question ethnique, raciale, sécuritaire, etc. C'est une vieille ruse de l'Histoire. Voilà le tableau tel qu'il se dessine. Voilà comment notre pays entre à son tour dans l'ère du soupçon généralisé, dans l'ère de la suspicion universelle et de l'exception permanente, à coups de lois nourrissant jour après jour les angoisses dont elles se prévalent ensuite. On voit ainsi d'éminents collègues, au demeurant brillants cerveaux, nous dire à cette tribune leur surprise du faible nombre d'attentats alors qu'on circule si facilement dans les aéroports. Ainsi, on s'étonne maintenant de ne pas avoir peur davantage ! Voilà donc où nous en sommes parvenus, tant est grande la pression sur les esprits et tant est répandu le poison de la méfiance. Voilà pourquoi nous n'avons pas l'intention, si peu que ce soit, d'ignorer que c'est cela le contenu réel de cette loi. Naturellement, nous aurions pu évoquer certains aspects positifs du projet. Personne ici n'aura la sottise de dire que ce texte n'aura aucun effet sur la lutte contre le terrorisme, qu'il n'offrira pas, ici ou là, quelque facilité. Ce serait stupide et totalement exagéré. Mais son économie générale, sa structuration et les liens qui unissent les parties qui le constituent en font un système dont nous ne voulons pas. Durant ces deux jours de débat, il n'a pas été question de lutte contre le terrorisme. Il n'a été question que de la meilleure manière d'attribuer à l'autorité judiciaire ce qui était hier du ressort du pouvoir législatif, et d'attribuer à l'autorité administrative ce qui était hier du ressort de l'autorité judiciaire. En définitive, il n'a été question que d'accroître les moyens de coercition pour effrayer les Français et leur faire aimer leur contrôle arbitraire.


Aucun commentaire à “Loi sur le terrorisme : la France dans l’ère du soupçon”
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  1. Sylvain dit :

    Je suis content de voir qu'il reste quelqu'un pour protéger les libertés des Français.

    Merci.

  2. Didier dit :

    Comment faire pour arrêter un fou de ministre de l'intérieur? A-t-il le droit de vie et de mort sur le peuple?

    L'heure est grave!

  3. herv dit :

    le totalitocommunautarisme libéral qui sevie outre atlantique est l'idéal de Sarkozy.

    De plus, il veut s'attirer la sympathie des partisans de la haine (20% de l'éléctorat)concrètement, il stigmatise une certaine catégorie de personnes (comme dans cette loi) et vend son discours sécuritaire aux autres.

    Et contrairement à ce que pense le camarade Etienne, c'est le moins Gaulliste des ténors de l'UMP.

    le plus dangereux.

    Même si je ne partage pas ses convictions politiques, le "Bonapartiste" De Gaulle avait un sens aigu de la REPUBLIQUE.

    Sarkozy lui, NUIT à la république.

  4. Didier Bich?e dit :

    Terrorisme:

    Emploi systématique par un pouvoir ou par un gouvernement de mesures d'exception et/ou de la violence pour atteindre un but politique.

    A quand une loi anti Sarkozy?

  5. J.G. dit :

    Tout ça fait quand même désordre: les sénateurs PS rejettent un texte (ilsont raison) que les députés PS n'ont pas rejeté.

    Ceci après avoir refusé de voter la prolongation de l'Etat d'urgence après l'avoir d'abord accepté - et l'on se souvient que le camarade sénateur avait vertement critiqué cette capitulation ici même.

    Est-ce que ces zig-zag quotidiens sont le produit "l'effet synthèse"?

  6. Fred. de L. dit :

    > Est-ce que ces zig-zag quotidiens sont le produit "l'effet synthèse"?

    Je pensais la même chose en effet...

    Est-ce l'effet de l'âge ? Les sénateurs étant réputés plus "sages" que les députés..... :-D


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